Interview de Sara Doke sur le S.E.L.F

Sara Doke est une autrice et traductrice de SFFF. Côté Autrice : elle a signé entre autre Le fix-up « Techno Faeries » (ed. Les Moutons Électriques, 2016), « L'Autre moitié du ciel » (ed. Mu, 2019, toujours disponible en numérique chez Mnemos) ou le roman de Fantasy « La Complainte de Foranza » (ed. Leha, 2020 ; réédité en poche en mai 2024 dans la collection Majick), côté Traductrice : Sara nous a permis de découvrir dans la langue de Molière des auteurs comme Karen Travis, James Morrow, Justina Robson ou Paolo Bacigalupi
Sara a dirigé l’ouvrage « Celtes ! Panorama de l'imaginaire celtique » (ed. Les Moutons Électriques, 2020) et possède d’autres cordes à son arc : journaliste, enseignante, présidente du Prix Julia-Verlanger ou encore présidente d’honneur du S.E.L.F (Syndicat des Écrivains de Langue Française)
Dans le cadre du défi #ImaJRun24, c’est justement à propos du S.E.L.F que nous l’avons interrogée et surtout des problématiques actuelles des auteurs en France

 

Sara, peux-tu nous expliquer ce qu’est le S.E.L.F. et ses principales missions ?

Fondé en 1976, le SELF fut le premier syndicat d’auteurs créé en France avec pour présidente Marie Cardinal. Parmi les premiers membres, on peut citer Bernard Clavel, Benoîte Groult, Yves Navarre...
Siégeant au fil des ans dans diverses organisations comme le CPE [1], à la création duquel il a participé, ou la caisse de retraite complémentaire des auteurs, le SELF a actuellement deux élus au conseil d’administration de la SOFIA [2].
Il est à souligner que le syndicat n’a jamais demandé ni encaissé d’aide ou subvention, ne vivant qu’avec les cotisations de ses membres et le travail de ses bénévoles.
Le Syndicat des Écrivains de Langue Française représente et tente de protéger les auteurices, tous les auteurs, y compris ceux qui n’en font pas partie. Il nous a fortement soutenus, par exemple, Ayerdhal et moi dans notre combat contre la Loi de 2012 sur la numérisation des œuvres indisponibles du XXème siècle.

 

Comment es-tu entrée au S.E.L.F et quelles étaient tes motivations ?

En 2012, après la lettre ouverte portée par Roland C Wagner contre la loi Hadopi, « nous le peuple de la science-fiction », face aux différentes questions que posaient l’édition numérique, avec notre participation à l’enquête de Sirinelli [3] , Ayerdhal et moi cherchions un moyen d’aller plus loin que le Droit du serf. Nous avons donc contacté les anciens membres du SELF qui était alors en dormance pour le réveiller. Je me suis présentée à la présidence lors de notre première réunion avec Jeanne-A Debats comme vice-présidente. Nous avons pu ainsi rencontrer une commission du Sénat pour parler de numérique. Le SELF est un organisme reconnu qui a bien plus de présence que ne pouvait l’avoir une association libre comme le Droit du serf. C’est l’une des raisons qui m’a poussée à m’engager. Je souhaitais moderniser la représentation des auteurices.
Mes motivations étaient la défense des auteurs avant tout. Surtout face à la loi de 2012 précitée qui présentait un danger immédiat. Je souhaitais aussi, avec le soutien d’Ayerdhal, porter la voix des auteurices devant les grandes instances concernant la question du numérique et de la captation des droits par les éditeurs défaillants, face à l’ignorance de l’époque concernant ces nouvelles technologies. Nous n’avons jamais été contre l’édition numérique mais il fallait que cela soit juste pour les auteurices, ce qui n’est toujours pas vraiment le cas selon moi.

 

Quelles sont les difficultés majeures que rencontrent les auteurs en 2024 ?

Aujourd’hui, outre le fait que les éditions numériques sont souvent bien trop chères et ne rapportent pas grand-chose aux auteurices, la difficulté majeure des auteurs est, comme pour beaucoup, de gagner leur vie, de garder et de protéger, de connaître leurs droits, ce qui est loin d’être simple. Beaucoup de jeunes auteurices ont du mal à lire un contrat et à connaître leurs possibilités de discussion. La diffusion / distribution reste un acteur majeur sur le marché du livre et dicte souvent aux éditeurs ce qu’elle souhaite voir publier, au détriment de ce qu’auteurices et lecteurices souhaitent proposer ou lire, parfois.
Il y a aussi la question du pourcentage de droits que touchent les auteurices sur les ventes de leur travail, nous sommes revenus en arrière par rapport aux années 2000/2010 et ces pourcentages sont faibles. Et encore plus pour les auteurices jeunesse, un combat qui n’est malheureusement pas porté.
Mais, surtout, le manque de rémunération de leurs interventions, les demandes d’avances de certains organismes qui mettent des mois à rembourser un billet de train ou un repas, ce qui pourtant est la moindre des choses.

 

Dans quels cas les auteurs se tournent-ils vers le SELF ?

Les auteurices se tournent régulièrement vers le SELF lorsqu’ils ou elles ont un conflit avec un éditeur et ne savent pas quoi faire pour se défendre. Il en est aussi qui se rendent compte après coup qu’ils ou elles sont édités à compte d’auteur sans le savoir et qu’ils ou elles ont été escroqués par certains faux éditeurs. C’est la question principale des auteurices. Mais ce n’est pas la fonction principale du SELF qui est la représentation auprès des instances gérant les droits des auteurices et les relations avec les éditeurs pour faire peser notre voix auprès d’organismes comme le CPE ou la SOFIA.

 

L’initiative ImaJRun tente de mettre en lumière le fait que les auteurs intervenant lors d’événements devraient être rémunérés au moins à hauteur des minimaux définis par le SGDL (société des gens de lettres) ou bien le CNL (centre national du livre). Est-ce que c’est une problématique remontée par les auteurs ?

Oui, bien sûr. Aujourd’hui, les festivals qui bénéficient d’un subside du CNL ou de la SOFIA ont l’obligation de rémunérer les auteurices pour leur participation à des tables rondes, par exemple. De rares festivals rémunèrent les auteurices pour les dédicaces.
En cas d’intervention en classe ou dans une bibliothèque, la rémunération est elle aussi obligatoire même s’il est parfois difficile de se faire rembourser certains frais.
Les auteurices ont besoin de ces revenus et de la reconnaissance qu’ils représentent.

 

Est-ce que certains auteurs se détournent des salons ou festivals pour des raisons financières ?

C’est courant. Je ne pourrais pas, pour ma part, participer à un salon ou un festival quand je dois payer mon trajet et mon séjour, je n’en ai pas les moyens, mais si c’était possible, j’y assisterais comme visiteuse et non comme participante. Même lors de rencontres en librairie, les frais de déplacement ou de séjour sont pris en charge par la librairie et par l’éditeur. Si une auteurice doit payer pour participer à un salon ou un festival, c’est pour moi soit une arnaque, soit une édition à compte d’auteur.
Je n’ai aucun mépris pour les auto-édités, je regrette parfois qu’ils ne fassent pas appel à des correcteurices professionnelles pour améliorer leur travail. Mais je trouve que c’est très cher payé pour être édité.

 

Peut-on imaginer une solution qui permette qu’à terme tous les auteurs intervenants soient correctement rémunérés ?

Le CNL et la SOFIA en ont fait une condition de leurs subsides, il est important pour les auteurices de recevoir ce respect de leur travail et cette reconnaissance. C’est une chose qu’il faudrait prévoir dans le budget de chaque salon ou festival. Je sais que ce n’est pas facile mais un festival comme les Aventuriales le fait, par exemple, alors que ce n’est pas un grand salon mais un événement très convivial de petite ampleur.

 

Un mot pour finir ?

Il est important pour les organisateurs d’événement de comprendre que les auteurices travaillent lorsqu’ils font la promotion de leur roman, qu’ils et elles ont travaillé leur œuvre, que c’est loin d’être un hobby et que tout travail mérite rémunération.

 

Merci Sara !

[1] Conseil permanent des écrivains
[2] Société française des intérêts des auteurs de l’écrit
[3] [3] Rapport Sirinelli : Rapport d'étape de la mission sur la révision de la directive 2001/29/CE sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information (2014)

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