Exposition 2024

Découvrez l'exposition des illustrations de l’anthologie Textes de l'art

ImaJn'ère, Festival de l'imaginaire à Angers

A PROPOS

Les auteur·ices et illustrateur·ices de notre anthologie ont bien voulu se prêter au jeu de l’herméneutique.

Cette exposition, présentée lors du festival 2024, a mis en avant le talent et la créativité des artistes locaux qui ont illustré les nouvelles sur le thème “Textes de l'art” pour leur donner vie. Les illustrations présentées ici ne sont pas le fruit d’un travail collaboratif avec les auteur·ices, ces dernier.e.s les ont découvert lors du premier jour de notre festival. À cette occasion, nous avons demandé à chacun et chacune de raconter, en peu de mots, leur démarche, leurs inspirations, leurs contraintes, tout en ayant carte blanche. Voici donc une variété de styles reflétant la diversité des genres et des tonalités des nouvelles présentées.

Que vous soyez un·e passionné·e de littérature ou simplement curieux·se, cette exposition est une occasion unique de découvrir les coulisses du processus créatif de l’illustration et de l’écriture de nouvelles.

Nous espérons que vous apprécierez cette exposition autant que nous avons apprécié la préparer. N’hésitez pas à échanger avec nos artistes sur les réseaux ! Toutes nos anthologies sont également disponibles sur notre site, dans l’onglet Anthologies | Boutique.

LES TEXTES


Couverture
illustrée par Boris Beuzelin

Réaliser une affiche pour un festival, quand on est illustrateur, est une affaire très délicate car il faut bannir l'envie de produire, à cette occasion, la belle image que sont en droit d'attendre les commanditaires du projet. L'affiche doit, en première intention, attirer l’oeil par une puissance iconique forte et dans un second temps nous raconter une petite histoire ou pour le moins suffisamment intriguer pour amener le spectateur à s'interroger sur le sens de l'événement, ce qui l'amènera, espère t-on, à venir y participer.

Heureusement dans le cas du festival ImaJn'ère, plusieurs figures imposées m'ont, finalement, facilité la tâche. Tout d'abord les fondements même du festival, à savoir le polar et les mondes imaginaires, ensuite, le thème imposé de l'édition 2024, les Arts, et enfin l'éternel élément qui doit rappeler la ville hôte.

Une idée s'est imposée immédiatement à moi, alors même que Pierre-Marie n'avait pas fini de m'énoncer le brief au téléphone, le Street-Art. C'est autour de cette idée qu'allait tourner mon affaire et le cheminement en a été celui-ci : imaginons un graffeur qui s'empare d'une façade d'immeuble pour y accomplir une œuvre. Bien sûr pas n'importe quel immeuble, plutôt un vieux bâtiment rempli de climatiseurs parce qu'il fait trop chaud pour supporter la chaleur ambiante. Ça pourrait être le présent, mais on est dans un monde imaginaire, donc ça sera un futur plus où moins proche comme le montre les personnages au bas de l'image, mélange d'humains, de robots, d'extra- terrestres, peut-être, car on aperçoit deux vaisseaux à l'arrière-plan.

Que nous raconte le graffeur ? La planète est trop chaude, l'air est devenu irrespirable, les virus se sont développés à toute allure et l'on est submergé par le nombre, d'où cette référence au fameux jeu vidéo Space Invaders sur la façade. Parmi les personnages, celui à l'imperméable et à la tête de chien va à contre-courant des autres et il ne porte pas de masque. Sans doute est-il trop désabusé pour se soucier de sa santé parce qu'il sait que, de toute façon, on va droit dans le mur.

Enfin, pour la référence à Angers, hors de question de dessiner le vieux château, j'ai donc choisi le pont du tram, ce qui me donnait un élément graphique idéal pour chapeauter les dates et la titraille de l'évènement : ImaJ'nère 13.

Boris Beuzelin


Préface et avant-propos
illustrés par Oscar Bernaud

Ayant pour principal passe-temps de dessiner des hachures, des volumes et des formes abstraites, j’ai cherché le moyen, pour ma première expérience dans l’illustration d’un texte, de conjuguer mes habitudes de dessin (je suis un peu monomaniaque il faut le dire) et la nouvelle qui m’était proposée.

A la première lecture, un passage m’a instantanément inspiré, un passage où je me sentais de pouvoir « envahir » la nouvelle sans la trahir : la transe extatique de Munkhtsetseg devant cette peinture étrange et captivante, cette hallucination la transportant en un lieu sans temps ni espace, où les mystères de l’univers sont incarnés.

Armé de mon rotring 0.25 pour le dessin et de ma tablette graphique pour les trames, c’est cette sensation écrasante, entre fascination et frayeur, évoquée par certaines œuvres d’art, que j’ai tenté de représenter dans mon dessin.

Cette sensation indicible que nous procurent les choses sublimes.

Oscar Bernaud

Pour illustrer la préface et l’avant-propos, nous avions besoin d’un dessin qui évoque le thème “Textes de l’art” dans une approche globale. Ce n’est pas un exercice évident car l’artiste n’a aucun texte sur lequel s’appuyer. Lors de la réception des illustrations, nous avons été conquis par celle d’Oscar Bernaud, qui était destinée à illustrer la nouvelle d’Oksana et Gil Prou, La Foudre pétrifiée. Son intention artistique nous a paru en adéquation avec notre vision de l’art. La composition en tourbillon qui rappelle l’émoi des émotions, le personnage sans visage… et qui représente bien nos réactions émerveillées à la découverte de chacune des illustrations reçues au cours du printemps !

L'héroïne de La Foudre pétrifiée est une étudiante dont la vision du monde est bouleversée par la vue d’un tableau. Elle cherche la connaissance dans les musées et se laisse porter par la beauté et la symbolique des œuvres. C’est ce que nous espérons voir survenir chez vous, lecteurs, devant chaque nouvelle et chaque illustration qui composent cette anthologie : de la curiosité et un remue-ménage d’émotions et de découvertes !

Pierre-Marie Soncarrieu | Manon Tardy


Dans la peau du Mécène
de Bruce Holland Rogers
illustrée par Ronald Bousseau.

Le slogan « le réel est là pour les gens qui ne peuvent pas affronter la science-fiction ni la fantasy » exprime la plus longue guerre culturelle de mon existence. Ou, de façon plus poétique, dans une conversation entre J. R. R. Tolkien et C. S. Lewis : Tolkien observait que celui qui s’inquiète le plus de l’évasion de l’esprit et s’y oppose est, par essence, un geôlier. Cet échange, entre fantaisistes chrétiens, est d’autant plus poignant que la religion elle-même représente à la fois une évasion et une prison.

Dans cette guerre culturelle, je suis partisan des deux camps. Je suis un empiriste strict. J’aime la réalité telle qu’elle est et les anges n’existent pas. D’autre part, je trouve la réalité cauchemardesque, donc je prends soin de ne pas conduire plus vite que les anges ne volent.

J’ai rencontré Donat Bobet alors que je m’étais temporairement établi à Toronto. J’ai rencontré dans un livre une mention sur un artiste parisien qui possédait une collection de tableaux similaire à celle de Donat dans son appartement. Du moins, je crois avoir lu cette phrase. Je n’ai jamais réussi à me rappeler quoi que ce soit d’autre sur cet ouvrage, ni à confirmer l’histoire de ce fameux artiste.

Dans l’intervalle, Donat s’est mis à m’accompagner lors de mes promenades à travers Toronto et à m’expliquer en français, avant que je ne comprenne le français, qu’il vivait à Montréal et qu’il vivait la poésie.
« Tu veux dire que tu vis de poésie ? lui ai-je répondu.

— Ça aussi. »

Bruce Holland Rogers (traduit par Lionel Davout)

Cette nouvelle m’a frappé à plus d’un titre.

Le narrateur est peu défini, on s’immerge ainsi aisément dans ses enjeux et son parcours montréalais.

Il décide de briser sa routine et se retrouve, comme sans doute espéré, confronté à l’inattendu.

Un inattendu qu’il devra apprivoiser et qui lui fera modifier son point de vue. Une narration efficace qui évite le spectaculaire et décrit un réel du quotidien où la poésie apparaît sans crier garde.

Il me semble que le propos est celui-ci : la poésie, voire la narration au sens large, pour s’apprécier a besoin, bien sûr, de l’imagination du poète ou du conteur, mais plus encore de celle de l’auditeur ou du lecteur.

Ronald Bousseau


Les 4 poèmes
de Morgane Stankiewiz
illustrés par Nzo

Je suis Poétesse.

Cette affirmation a mis des années à jaillir. C’est un secret venu des éons passés, des abysses les plus profondes de ma psyché, jusqu’au rivage de ma conscience où désormais il irrigue chaque parcelle de mon être.

La Poésie, qui s’exprime de bien des manières dans la matière, n’est pas seulement constituée de mots ou de sons. C’est avant tout une vision, un regard posé sur le réel qui l’interprète, voire qui le modèle, le transforme. Métamorphose ovidienne de tout ce que touchent les yeux de la Poétesse.

C’est aussi un héritage. Tant de Poétesses avant moi ont perdu leur voix, telle la Sirène d’Anderson. C’est mon rôle de hurler en leur nom comme au mien, de remplir mon firmament de papier de nos éclats de rage, d’amour, de peine, de désir et d’élation.

Anaïs Nin disait que c’était là l’essence même de la femme que de plonger sa queue de sirène dans les tréfonds de l’inconscient et de le faire émerger, telle une psychopompe. Je me fais ainsi fille d’Orphée, comme elle, comme toutes avant moi, après moi.

L’Art est total : ma Poésie, mon écriture, ne sont pas des métaphores déconnectées de l’expérience, des façons d’aborder le monde, une vision de l’Art : elles sont mon monde, plus vraies encore.

Il n’y a nulle métaphore dans mes mots, mais une expression de mon expérience, de ces courants qui me parcourent, de mon eau et de mon sang.

J’écris à l’encre la plus intime.

Morgane Stankiewiz


Quelques gouttes de rouge et de bleu
de Nadia Coste
illustrée par Laure Truffandier

En 2020, on m’a proposé de participer à une anthologie de nouvelles de SF pour parler du futur de façon positive. J’ai eu le thème de l’alimentation, et je me suis lancée dans cet univers post-apocalyptique opposant les habitants des campagnes, vus comme des barbares arriérés qui mangent ce qui pousse DANS LA TERRE, et les habitants des villes qui ont potentiellement résolu la question de la faim dans le monde grâce au Violet. Je ne peux pas nier que Soleil Vert a été l’une de mes inspirations (le film plus que le roman).

Mais cette nouvelle, qui mettait en scène une mère et sa fille séparée par une catastrophe naturelle, était bien trop sombre pour l’anthologie. J’ai finalement préféré une autre histoire, et j’ai mis de côté le Violet avec l’impression d’avoir de la matière pour un roman.

J’ai créé le personnage de Jade au cours du travail de fond qui a suivi. Sa découverte de l’art par ce qui avait été sauvegardé après les catastrophes me plaisait beaucoup, notamment l’image des tableaux sur lesquels la nourriture solide aurait été censurée. Version après version, Jade se développait et prenait toute la place, me conduisant, en novembre 2023, à me concentrer sur son histoire à elle, quitte à couper tout le reste.

Lorsque l’on m’a proposé d’écrire une nouvelle autour de l’art, j’avais tous les éléments en main pour boucler la boucle !

Nadia Coste

Deuxième texte, deuxième illustration, deuxième approche. Un texte jeunesse, je pouvais donc être plus libre sur la stylisation. Je cherchais un style Comics/BD… Un peu à la Spider Man. J'ai donc utilisé des trames pour accentuer les ombres, un encrage dynamique, des contrastes francs et joué avec les décalages d'impression afin de multiplier les éléments. J'ai dû faire une version noir et blanc pour la publication de l'anthologie, mais la nouvelle criait tellement la couleur que… J'ai quand même mis de la couleur dessus. J'ai donc pu vraiment jouer avec des décalages de couleur comme je voulais.

J'ai cherché à représenter Jade face à l'adversité de son univers, et quoi de mieux que de se battre avec son art et des pinceaux.

Laure Truffandier


Toccatina forte
de Vincent Dioniso
illustrée par Dennys Co

Il y a quelque chose de fascinant dans un orchestre philharmonique. Un grand paradoxe qui, pour un profane comme moi, est difficile à comprendre. Je veux dire vraiment comprendre.

Sur le papier, c'est une armée, un ensemble méticuleux d'instruments au service du collectif. Chacun a sa fonction pour rendre justice à la composition.

Et puis, quand on s'y penche un peu, on voit une hiérarchie. D'abord subtile, puis presque violente. Des solistes, des premiers violons, que le chef d'orchestre salue tandis qu'il ignore la plèbe des autres interprètes.

La musique est, entre autres, un art de précision. De méticulosité. Je n'ose même pas imaginer la dévotion nécessaire à quiconque intègre un orchestre philharmonique. Les sacrifices, les heures de travail, la souffrance, la frustration. C'est presque inhumain et, vu de l'extérieur, difficile à comprendre.

Alors imaginer l'obsession, l'ambition que cela requiert d'atteindre le prestige d'un premier violon... Est-ce qu'il n'y aurait pas de quoi perdre la raison ?

Vincent Dioniso

Toccatina est une histoire d'obsession, entre Gerdt, le personnage principal essayant désespérément de percer à jour son confrère violoniste André

Au premier plan, Gerdt, penseur, forme une grande silhouette sombre, très géométrique, rigide, dans l’ombre.

En arrière-plan, André, au violon, est plongé dans une lumière aveuglante, brûlante. Il éclipse littéralement Gerdt, tout en étant placé littéralement au-dessus de sa tête, occupant son esprit et l’enveloppant dans un flot tourbillonnant.

Le tourbillon représente à la fois le flot de musique que le flot de pensées, centré sur André et son violon, mais enveloppant Gerdt dans un chaos désorientant. Il sert aussi à créer un double contraste avec Gerdt, un contraste de couleur qui permet de faire ressortir la silhouette noire du penseur, mais aussi un contraste de forme entre les courbes chaotique et les formes solide.

L’ensemble des courbes et les lignes désaxées, formant des spirales centrées autour des deux personnages, perturbe la perspective et la perception, créant un sentiment de malaise et de trouble, évoquant l’état d’esprit du personnage principal.

Le but de cette image est de représenter le contraste et la distance entre les deux personnages, créer une distance entre les deux, tout en maintenant une connection malsaine et asymétrique.

Dennys Co


Partitions
d'Audrey Pleynet
illustrée par Fabien Collenot

Ça faisait longtemps que je voulais écrire un texte sur de la musique classique et réfléchir à la question de l'harmonie. Est-elle universelle ? N'y aurait-il pas une proximité entre les formes d'intelligence sensibles à la même harmonie musicale ?

Poser cette question dans un contexte de rencontres avec des races extraterrestres me paraissait intéressant. La musique est-elle utilisée différemment alors ? Comme un langage, un code, une formule mathématique ? Je voulais aussi depuis un moment écrire une nouvelle avec la question du doute en son cœur. C'est un équilibre subtil, comme un funambule sur un fil, qui ne doit jamais basculer. J'espère avoir réussi l'exercice et que le lecteur a apprécié la musique de mon texte.

Audrey Pleynet

Pour la réalisation de cette illustration, comme souvent je réalise mon esquisse aux crayons de couleurs sur papier puis la prend en photo et finalise sur tablette graphique via Procreate (un outil numérique très sympa et très intuitif).

L’idée sur cette réalisation était d’amalgamer les éléments qui m’ont parlé et marqué, me basant sur les informations données au fil des lignes.

J’ai donc représenté un extraterrestre avec un brin d’ADN entre les mains jouant de la musique, le langage utilisé pour codifier leur code ADN en arrière-plan et deux planètes qui se croisent sur un fond galactique.

Fabien Collenot


Détails de l'exposition
de Jean-Claude Dunyach
illustrée par Caza

J’aime l’art quand il est dérangeant. Quand il m’interroge, quand il me tend un miroir déformant devant lequel j’ai envie de grimacer.

L’idée de cette nouvelle m’est venue dans un musée. À Londres, probablement. Je me baladais dans une exposition d’art conceptuel (en 1982, ce n’était pas vraiment courant) et je me suis demandé si le musée, puis par extension le monde tout entier, ne pouvait pas prétendre au statut d’œuvre d’art. La question suivante a bien sûr été « si oui, qui l’a créé ? » et surtout « quelle sorte de gens viendraient la visiter ? ».

J’aurais pu imaginer une race extraterrestre en train de nous scruter au microscope, comme nous étudions les paramécies. Mais cela ne me satisfaisait pas. J’avais besoin de quelque chose de plus humain. Alors j’ai joué autour de l’idée d’un catalogue d’exposition dans lequel j’ai fourré diverses choses – il y a eu onze versions de cette nouvelle, qui était ma cinquième. J’en ai profité pour expérimenter quelques techniques, elle m’a servi à faire des gammes. Toute écriture est un apprentissage et c’est encore vrai aujourd’hui.

Jean-Claude Dunyach

L’ami Dunyach n’est pas forcément facile à illustrer : ses textes foisonnent verbalement, il en naît souvent des foules d’images, mais parfois ils sont plus abstraits. Comment traduire une sorte d’art fait de coupes temporelles qui font glisser les unes sur les autres des phases de temps pêchés dans le passé ? M’est venu très vite le principe d’une image qui serait découpée en tranches. Une Napolitaine ? (Hommage à JCD qui est un grand pourvoyeur de terrifiants calembours au cours des conventions). Pas de Napolitaine dans son histoire. L’attentat de Sarajevo, la chute de l’Empire State Building, l’assassinat de Kennedy, etc. Un peu trop spectaculaire, tout ça, pour les faibles moyens d’un illustrateur vieillissant sur une page en noir et blanc. Mais heureusement, une geisha.

Donc la geisha.

Et un rendu en niveaux de gris pour que la découpe en tranches se lise bien sur le fond blanc du papier.

Caza


Rien qu'une larme
de Wilfried Renaut
illustrée par Manon Anglade

L’idée maîtresse de ma nouvelle est de soutenir la créativité humaine. L’invasion de l’IA dans les arts tend à saper sa valeur au profit de la vitesse et du résultat.

Pour autant, mon texte ne traite pas du pillage des œuvres par les logiciels ni de l’impact financier et moral sur les artistes. Plutôt que dénoncer l’IA, j’ai préféré écrire sur la poésie de ce qu’elle souille, comme certains photographes alertent en immortalisant les beautés à protéger au lieu de leur destruction.

La créativité humaine est un mélange de passion, de travail et de persévérance. Une œuvre illustre l’aboutissement d’un processus long. Nombre d’histoires, d’obstacles et d’affects le jalonnent. Se contenter d’un résultat en quelques mots et secondes, c’est nier l’importance de ce même processus qui confère son essence et sa consistance à l’art. Le making of d’un film ou d’un album rend plus viscérale encore l’appréciation de l’œuvre.

Ma nouvelle Rien que pour une larme explore cette émotion, fait de la lenteur et du processus de création humaine littéralement une question de vie ou de mort. Tant que des passionnés et des humbles, comme les protagonistes, Eugène et Louis Pélagie, œuvreront, l’humanité conservera ses chances de survie.

Wilfried Renaut

Avoir des prémisses sans les éléments fantastiques était extra comme entrée en matière, je me suis donc demandé « pourquoi ne pas faire pareil » ?! Sans de fantastique directement afin de laisser la créativité de chacun s’exprimer.

J’ai tenté plusieurs compositions qui me plaisaient moins que je ne l’aurais souhaité. Après ces essais, je me suis rendue compte qu’un élément restait le même sur mes croquis. Je voulais créer une scène reconnaissable de tous de Paris mais avec un petit côté mystérieux… qui me faisait énormément penser aux prémisses de la nouvelle. Ce détail mis sans plus ou moins d’évidence était à mes yeux l’essence même de l’histoire qu’on pouvait retrouver à plusieurs reprises (bien évidemment, cela reste mon interprétation).

Les descriptions très détaillées tout le long de la nouvelle m’ont poussée à vouloir illustrer un paysage parlant pour le personnage principal… je vous laisse découvrir ce chef-d’œuvre en espérant que mon interprétation fera échos à la vôtre lors de votre lecture...

Manon Anglade


Les peintures d'ocre
de Aude Constans
illustrée par Pierre Vrignaud

J'avais cette nouvelle dans un tiroir depuis deux ans déjà : celle qui raconte l'histoire d'un deuil et de deux humanités. Je la trouvais inaboutie. Les idées étaient là mais il lui manquait quelque chose de substantiel. Il fallait que je la retravaille, que je la refonde, mais rien de neuf ne me venait.

J'ai su, en lisant le thème « Textes de l'Art » que c'était ce qui manquait à mon histoire. L'art comme témoignage d'une culture, l'art comme catharsis, l'art comme esprit visionnaire, l'art comme magie... Il était à la fois ce qui liait et déconstruisait mes personnages. Il est l'une des rares traces qui subsiste de ces humanités originelles. Il est l'un des piliers fondateurs de l'humain.

J'avais enfin ce qui me manquait.

Cette idée ne m'est toutefois pas venue toute seule : passionnée de préhistoire, je me tiens régulièrement informée de l'évolution de la recherche dans le domaine. Le hasard a voulu qu'à peu près au moment de l'appel à textes, j'étais en train de lire un livre qui m'a particulièrement impressionnée : « Néandertal nu », de Ludovic Slimak, chercheur au CNRS spécialiste des sociétés néandertaliennes.

Moi qui suis issue d'une formation en philosophie, je ne pouvais qu'être séduite par le regard résolument philosophique porté par l'auteur sur Néandertal grâce au prisme de l'art. Ce livre est le matériel principal qui m'a permis d'en développer le contexte anthropologique.

Du brouillon pouvait jaillir un texte de l'art.

Aude Constans

Une illustration ayant comme thème "L'art pariétal" était une évidence pour moi après ma lecture de la nouvelle Les peintures d'Ocre.

Le fait de raconter, de résumer par ce type de dessin ajoute une forme de communication, un échange, un lien social entre le créateur, l'illustrateur et le lecteur de la nouvelle.

Bhagwan et Jhanali, présents au sommet de l'illustration, alimentent également le mythe que les hommes et femmes de la préhistoire partageaient en commun : " la Genèse" (ou l’émergence primordiale). Ce mythe fondateur raconte l'origine du monde.

Pierre Vrignaud


Le plan
de Antoine Lencou
illustrée par Hugo Meunier

Quand j’ai lu le thème de l’anthologie de cette année « Textes de l’Art », je me suis tout de suite dit que c’était un excellent thème pour un écrit de Science-Fiction.

À l’heure où l’on ne parle plus que d’IA ou de Chat GPT, je me suis demandé ce qu’imagineraient des logiciels livrés à eux-mêmes. Quelle forme d’art élaboreraient-ils ? Comment l’exprimeraient-ils ? Seraient-ils capables d’innover, de produire des créations qui possèdent une « âme » ou ne feraient-ils que reproduire sans fin des succédanés exempts de profondeur, d’originalité, de substance ? Les mêmes œuvres, obéissant aux mêmes schémas créatifs, puisées dans les mêmes sources. À moins qu’ils ne veuillent, au contraire, se démarquer de nous…

Pour moi qui écris à l’instinct, sans rien planifier ou presque, qui laisse mes personnages me mener là où ils ont bien envie, la contrainte majeure fut le nombre de mots imposés. Entre des persos boudeurs qui n’ont rien à dire ou d’autres qui n’en font qu’à leur tête, comment respecter un calibrage donné ? J’avoue, il m’a fallu sortir de ma zone de confort !

Pour terminer, en rédigeant ce post et ces quelques lignes qui précèdent, je me rends compte que mon titre, Le Plan, est un joli pied de nez involontaire à ma façon d’écrire. Tout un art en quelque sorte.

Antoine Lencou

J’ai participé à cet exercice en illustrant une nouvelle dystopique sur l’ère numérique s’intitulant « Le Plan ». Pour illustrer au mieux ce monde dystopique au langage mathématique, j’ai choisi de faire une composition rythmique basée sur le nombre d’or (Φ). Pertinent, puisqu’il s’agit de représenter la nature au regard d’une logique mathématique et géométrique. Ce ratio d’or utilisé depuis l’antiquité dans le monde de l’art, imite la nature avec ses proportions divines (≈ 1.618). Cette composition permet de hiérarchiser les éléments et de guider le regard du spectateur. Le style graphique est inspiré des premiers dessins d’HR Giger, du travail de Beksinski et des peintures métaphysiques de Giorgio de Chirico. J’ai choisi d’illustrer une scène comme décrite dans le texte (décor, intelligence..). En revanche, j’ai voulu représenter le conservateur tel un pantin. Le décor, décrit comme un damier géant aplanit par les campagnes de radiation, justifiant ce ciel irradié pointé par les montagnes. Dans ce jeu de clair obscur, de plein et de vide, l’élément architectural central s’apparentant à une pièce d’échec est inspiré du mouvement brutaliste communiste russes. Clin d’œil à l’antiquité, j’ai choisi d’ajouter cette forme pyramidale surplombant cette nature stérile, monde dans lequel surgit les courbes voluptueuses de cette jeune pousse.

Hugo Meunier


Parfums d'un monde oublié
de Aude Lapagu-Hargues
illustrée par Élise Haroche

En découvrant le thème « Textes de l’art », ma première réflexion est simple : je ne comprends rien. Ça partait mal. Je relis, je décortique, je me lance dans une analyse digne d’une élève de première qui joue sa vie au bac de français. Non, décidément, je ne vois pas. Tant pis, je me dis. On va improviser, comme à l’époque.

Dans la multitude des arts qui embellissent le monde, je cherche le mien. Je pourrais écrire sur l’écriture, m’engager dans une mise en abîme mais ça me donne le vertige. Je me tâte, je m’inspire de ceux qui racontent le beau, je respire les mots, je sens venir une idée. Elle a une bonne odeur celle-là, de quoi raconter une belle histoire. Oui, je vais parler de parfum. Comme Suskind et son génial Grenouille.

L’histoire se tisse d’abord à travers le nez d’Anne, sourdaveugle qui « voit » le monde à travers ses odeurs et se retrouve sollicitée pour développer des histoires olfactives. Puis les fils nous ramènent à Cassius, aux sens intacts, qui cherche à comprendre pourquoi les utilisateurs de ces histoires olfactives disparaissent. Y a-t-il plus puissant vecteur d’émotions que notre odorat ?

Aude Lapagu-Hargues

Illustrer Parfums d'un monde oublié, c'est se pencher sur le pouvoir de l'odorat et l’éveil de ce sens, qui par nature échappe au monde visuel. C’est une belle façon d’aborder le thème de l’art. Mais c'est surtout s'interroger sur le paradoxe de notre société moderne, qui cherche à répondre à l'ensemble des besoins humains par le développement, la croissance, jusqu'à détruire ce qui répond pourtant à l’essentiel. L'hyperconnexion au technologique tente de compenser la déconnexion à la nature, sans y parvenir tout à fait. On est alors dans l'ersatz, le temporaire, l'irréel. On est toujours plus dépendant à cette virtualité, qui détruit le monde véritable et le rend insupportable.

C’est sur cette notion d’illusion que j’ai choisi d’appuyer l’illustration de cette nouvelle, ces faux messages portés par la société, ces promesses de bonheur, qui ne sont pourtant qu’une fuite éperdue de la réalité. C’est un discours fort que porte "parfums d'un monde oublié", qui a besoin de l’art pour se répandre et s’infuser.

Élise Haroche


Elle est un autre
de Jérémy Bouquin
illustrée par Cassandre de Delphes

Le graffiti comme point de départ.

Le graffiti, l’écriture pariétale, éphémère, le dessin, le pochoir, toutes ces techniques qui font qu’un jour l’œuvre d’art devient unique, occupe l’espace public, s’impose à l’autre, éclate à l’œil, imprime la rétine.

Une agression, une provocation, une revendication, une pulsion.

L’art comme un moyen d’expression direct, d’interroger le quotidien, les injustices, d’en créer, ou juste de rendre beau.

Un postulat gratuit. Sans autre volonté que d’interroger.

J’ai longtemps tagué (je continue, mais faut pas le dire, mes enfants ne le savent pas) ; d’un acte sauvage, d’une sensation préméditée, d’une expression vandale – Graffer / Taguer / peindre constitue une forme d’énergie créative presque complète.

C’est jubilatoire.

Anticiper son message, faire des repérages, trouver le bon moment, puis agir, en pleine nuit, quelques minutes. Poser son dessin. Puis le lendemain revenir, trainer l’air de rien, analyser les réactions… Voir vieillir son message, l’oublier, se faire couvrir.

Il y a de l’écriture dans tout cela. Une forme d’art vivant, d’acte symbolique, peut-être même psychologique.

J’avais envie d’aborder cela dans un texte.

J’avais envie de le partager là.

De l’art ? Peut-être, des maux certainement.

Jérémy Bouquin

Créer, c'est l'art de ne pas penser comme un mortel. C'est laisser une trace que l'on souhaiterait indélébile dans son sillage ou sur les murs, c'est inscrire une intemporalité.

L'écriture incisive de l'auteur m'a instantanément évoqué l'ambiance cinématographique Nouvelle Vague, et dès lors, l'usage du noir et blanc à la puissance plastique et poétique indéniable s'est naturellement imposé.

Le récit nous emporte dans une sorte d'hymne noir et mélancolique. Parmi les éthers embrumant l'esprit tourmenté du personnage se détache le visage d'une femme, image obsédante et prophétique, qui sera révélatrice d'une terrible vérité. Le choix d'un plan serré nous rapproche du personnage, nous permet d'être au plus près de sa vision et de ses pensées, de ressentir à quel point sa vie lui échappe. Ainsi, la scène que j'ai imaginée est le point de départ du récit, mais aussi la fin: retour au point zéro d'un destin gâché.

Cassandre de Delphes


Lettre à Dark Vador
de Lionel Davoust
illustrée par Eliot Bernaud

La plus euphorique prise de conscience de l’artiste, il me semble, consiste à vivre, au plus profond de soi, que la réception d’une œuvre ne nous appartient pas. Nous sommes uniquement des vecteurs ; des tentatives. Quelque chose souhaite s’exprimer à travers nous ; nous cherchons à lui donner forme, d’abord pour qu’elle existe, puis pour qu’elle soit reçue de la façon la plus claire possible. C’est une curieuse alchimie à travers laquelle s’exprime la technique, le vouloir, la personnalité de l’individu – et des choses inexplicablement extérieures, qui ne lui appartiennent pas, qui lui sont « servies » par, rayez la mention inutile : les Muses, l’inconscient, une réalité parallèle. Ce que Steven Pressfield appelle « le Mystère » – la définition n’apporte rien ; il suffit de savoir que c’est là.

Quand l’on est à l’origine d’une œuvre aussi culturellement marquante que *Star Wars*, la réception prend une dimension fascinante et unique. Des années de projections collectives, de visions publiques, d’imaginations intimes se sont bâties sur l’œuvre ; et quand cette dernière s’est construite en partie sur des contraintes techniques et des associations fructueuses, à l’image de la première trilogie, la vision originale du créateur dévie nécessairement de la réception – et du mythe populaire qui se l’approprie.

L’œuvre appartient toujours à son créateur. La réception appartient toujours au public. Mais, si les personnages viennent des Muses, de l’inconscient – ou d’une réalité parallèle : qui se soucie de leur sort ?

Les auteurs enfermés dans des congélateurs à poissons.

Lionel Davoust

Quand on est enfermé dans un congélateur, coupé de tout, on finit par rêver ce qui se trouve à l'extérieur. On y est un peu comme dans un vaisseau sans fenêtres. Rien n'entre, rien ne sort, c'est du solide. Alors on peut s'imaginer dériver telle une sonde lancée dans le cosmos, parcourant les  immensités de l'univers, à la rencontre de nos rêves les plus fous, guidé par l'esprit du plus grand héros de l'espace, Dark Vador. Et on a tout notre temps pour se lancer dans une discussion épistolaire profonde avec lui.

La composition que j'ai imaginée tente de donner corps aux pensées de cet adepte du coté obscur resté comme congelé dans les années 70 et dans l'imaginaire de la saga fondatrice de ses rêves les plus fous, si amer de ce qu'on a fait du passé de son idole de toujours.

Eliot Bernaud


Le Dit des deux conteuses
de Fabien Clavel
illustrée par Philippe Caza

Le thème de l’art est tout de suite parlant : il permet de jouer sur la mise en abyme. Quant aux genres de l’imaginaire, ce sont ceux qui se marient le plus harmonieusement avec l’art, selon moi.

Pour ma part, je voulais parler de l’art du récit, un sujet qui me fascine.

En me fondant sur les Mille et une nuits,  on peut dire qu’il existe deux formes de récit : celui qui se répète de façon obsessive dans une forme de pulsion de mort (le sultan qui rejoue l’exécution de son épouse) et celui qui ouvre à la vie et au jeu (Shéhérazade qui se sauve chaque nuit en racontant des histoires). J’ai donc mis en scène ces deux tendances à travers deux conteuses qui incarnent chacune une manière d’utiliser le récit.

Cela permettait de revenir aussi aux sources de la fantasy avec le conte. Ici, il est écrit mais il imite un peu son versant oral. C’est toujours pratique pour parler de sujets difficiles sans en avoir l’air. Là, je mets en scène la Mort mais le ton reste léger (enfin j’espère). C’est l’une des magies de l’imaginaire et de la fantasy.

Fabien Clavel

Deux conteuses et la Mort qui les accompagne, les précède ou les suit. Une époque indéterminée, qui peut être médiévale ou tout autre. Les contes sont hors du temps, dans le In illo tempore ou le Il était une fois. Avec une chute que je ne dois pas révéler ici, pour qui n’a pas encore lu la nouvelle, mais qui m’a permis de ne représenter qu’une seule conteuse et une seule Dame la Mort.

Le joli thème de “La Jeune fille et la mort” est en filigrane. J’ai un petit dossier de peintures sur ce thème dans mon disque dur : Munch, Schielle, Fuchs, etc. Un thème classique toujours inspirant. Et l’occasion d’un dessin un peu “fin de siècle” ou Art nouveau.

Philippe Caza


La dernière œuvre d'art
de David Coulon
illustrée par Ronald Bousseau

Je suis metteur en scène de théâtre et auteur de romans noirs, souvent trash, souvent feel-bad books, alors la thématique m'a semblé couler de source. De surcroît, mon avant-dernier roman, Kintsugi , parle également d'art. L'art japonais ancestral de réparation des vases brisés, à l'aide de poussière d'or. Symbole de la résilience. J'ai voulu écrire une nouvelle qui ne soit pas une nouvelle mais une pièce de théâtre. Que l'on peut librement mettre en scène d'ailleurs. Car, je crois qu'elle parle de notre monde à venir. Et de l'art. A venir aussi. Dans un monde qui n'en a pas vraiment. D'avenir.

Et, en cela, cette pièce est proche de mon dernier roman, Demain Disparue, roman pré-apocalyptique évoquant le monde que nous sommes en train de créer/subir/transmettre. Ma nouvelle pose la question de la survie dans un monde qui aurait/va imploser. Quelle serait la place de l'art dans un tel monde ? L'art est-il nécessaire, superflu ? Est-il plus important que l'humain ? Je n'ai pas de réponse à de telles questions. Trouvez les vôtres en lisant cette pièce de théâtre. Et, de grâce, mettez en scène un avenir moins sombre.

David Coulon

Pour moi, le format ”pièce de théâtre” est très stimulant.

Cela crée une implication différente dans la lecture. Cela pose plein de questions et d’allers-retours sur le point de vue, autant en tant que lecteur qu’en tant qu’illustrateur. Avec un minimum d'informations, on essaye de se représenter ce qu’on lit.

Quels décors imaginer ? Quel casting, quelle direction d’acteurs ? Quel point de vue ? Celui du metteur en scène ou celui du public. Les deux se rejoignent ici aussi.

Le point de vue que j’ai choisi permet à la fois de se placer depuis le regard d’un des personnages (no spoil)  que depuis celui du public dans la salle.

J’ai ensuite fait mon casting. J’ai essayé de représenter des amateurs d’art, un peu bobo et élitistes, je les ai imaginé à l’aise dans un microcosme de collectionneurs parisiens, mais pas trop. Il fallait qu’ils aient une revanche à prendre. Déconnectés un peu du monde réel ? Oui, sans aucun doute.

J’ai essayé de les caractériser afin qu’on puisse, avec ce le peu qu’on voit d’eux, distinguer certains traits comportementaux. Celui-ci est meneur, celui-ci est caractériel, celui-ci est suiveur… Etc. Que du très subjectif en somme.

L’aspect ”ombre chinoise” est venu progressivement mais assez rapidement. Ça colle bien avec les contraintes d’impressions.

J’ai triché un peu pour laisser apparaître certains détails sur les visages. Sans ça, à quoi bon faire de la direction d’acteur ?!

Ronald Bousseau


Bankable
d'Anne-Justine Jasinski
illustrée par Nina Collenot

L’idée de « tisser » un texte de l’art m’a tout de suite attirée. Tisser des points de vue pour proposer une lecture en plusieurs dimensions, tisser des émotions et des sensations, tisser des intrigues et des relations, tisser des calligrammes… Voilà qui résume ma démarche d’écrivaine. Les fils individuels ne prennent leur sens qu’une fois assemblés, ce qui révèle leur motif.

En inventant un art du futur, j’ai pu aborder deux aspects sensibles de mon expérience dans l’écriture : le rapport de force inégal entre l’art et l’argent, la tendance des passionnés de l’art à le laisser dominer leur vie. Entre ces deux conflits, difficile de trouver son équilibre et son bonheur en créant ou en défendant des œuvres d’art.

Mes deux personnages se débattent, chacun à leur manière, dans la violence de leur passion et le flou de leur subjectivité. Face à eux règne une société inflexible mue par le profit. Leur rencontre ne peut au mieux qu’adoucir leur solitude.

Anne-Justine Jasinski

Cette nouvelle m'a beaucoup inspiré, j'aurais aimé pouvoir en dessiner toutes les images qui me sont venues à l'esprit. J'ai décidé d’en faire une affiche promotionnelle tel un film à l'affiche ou à la une d'un journal, comme une promotion d'œuvre à voir absolument.

Retranscrire en image cette nouvelle consommation futuriste était chouette et à la fois complexe. Le temps m'aurait certainement donné plus de profondeur et de détails.

Le noir et blanc était une contrainte intéressente malgré mon envie irrépressible de mettre en couleur pour plus d'émotion ;)...

Enfin j'ai utilisé la tablette numérique pour créer mon illustration. Nouveau joujou dans ma palette et surtout afin d'adopter des textures, superpositions de dessins et typologies correspondant à mon envie d'affiche.

Merci à l'auteur, et bonne lecture <3

Nina Collenot


La foudre pétrifiée
de Oksana & Gil Prou
illustrée par Fabien Collenot

Travaillant en duo, nous entrelaçons ainsi des émotions, des thématiques et des visions différentes afin d’élaborer une alchimie singulière qui se concrétise par des romans écrits à quatre mains. En lisant la présentation du thème de l’anthologie, deux phrases s’acoquinèrent aussitôt avec notre imagination qui, n’en doutons pas, n’attendait que cela : "le texte est une trame faite de nœuds" et "l’art regroupe les œuvres destinées à toucher les sens et les émotions".

Des nœuds et des émotions… Tout est dit !

En quelques minutes, nos rêveries et fabulations permanentes partirent en quête d’une accointance entre la quintessence de l’art et l’extraordinaire capacité de s’immerger dans l’émotion pure avec le fragile outil des mots. Enchâssée dans le lieu hermétiquement clos d’un prestigieux musée, une odyssée immobile put ainsi prendre son essor. L’expression odyssée immobile n’est pas ici un oxymore gratuit. Elle correspond à un réel désir de pouvoir s’immerger dans un lieu physique et mental dans lequel le proche et l’infini se côtoient afin de satisfaire une quête de l’absolu qui, justement, peut s’exprimer par le texte et par l’art.

Nous écrivons généralement des romans assez longs. Néanmoins, le caractère lumineux du thème et le cadre rigoureux d’une nouvelle ni trop courte, ni trop longue, constitua un défi très agréable à relever.

Oksana & Gil Prou

Pour cette illustration, comme à mon habitude, j’ai réalisé mon esquisse aux crayons de couleurs sur papier pour ensuite finaliser sur tablette graphique.

Je me suis documenté sur la peinture : La tempête de Giorgione, qui attire et questionne, la jeune étudiante Mongole Munkhtsetseg, jumelle monozygote de Burnaburiah étudiante en mathématique.

En dessinant un visage au centre de l’illustration séparé en deux par un éclair évoqué dans le texte (même si dans la peinture de Giorgione, l’éclair est à peine plus gros qu’une virgule).

J’ai donc exagéré celui-ci pour arriver à mes fins!

L’idée est de confronter deux mondes à première vue complètement différent et en même temps si semblable.

Comme le cas de jumelles monozygotes ayant le même code génétique mais de par leurs expériences individuelles si différentes.

D’où le côté fractal, mathématique qui vient percuter et se fondre dans la peinture de Giorgione, analysé par la jeune étudiante en art et son imaginaire.

Le lien qui unit Munkhtsetseg et Bunaburiah est finalement indivisible et fissible en même temps.

C’est ce que j’ai voulu exprimer dans cette illustration.

Fabien Collenot


Vénus de Manille
de Éric Vial-Bonacci
illustrée par Laure Truffandier

Moins quelques jours avant la date butoir du concours de nouvelles. Pas la tête à écrire, pourtant.

Degré zéro de l’inspiration. Je suis mal.

L’esprit en mode exploration urbaine, je pars visiter un hôtel abandonné.

Squattée par des loulous enivrés de bière et de musique lourde, la ruine est immense. Le flair pointé sur moi, un doberman m’observe. Une nana le caresse sans me quitter des yeux. J’hésite, puis je dégaine mon appareil photo.

L’art n’a pas de limites.

Dans la piscine asséchée, une jeep dort sur le flanc.

Cran d’arrêt et canette à la main, la nana s’approche. Elle dit s’appeler Vénus.

Je me marre. Le hasard n’existe pas. Pour preuve, je lui montre mon bouquin de Sturgeon que je m’apprête à ficeler au nom de l’art : Venus plus X. On sympathise. Je lui tire le portrait et je m’engouffre dans les couloirs qui puent la mort.

D’obscurs graffitis hantent les pièces vides. Ici, les couleurs ne tombent pas du ciel. Elles naissent chaque jour sur les murs. Les verres brisés craquent sous mes pieds comme autant d’os trop secs.

Le souffle court, je déclenche l’obturateur. Des centaines de photos comme inspiration à mes histoires futures. C’est la misère ici. Seul le silence me tient compagnie.

Cette déambulation photographique devient soudainement une aventure littéraire.

Inspiré par cette esthétique des ruines, des mots surgissent par magie.

Vénus de Manille.

Je rebrousse chemin.

Écrire devient nécessaire.

Éric Vial-Bonacci

A la lecture du texte, j'ai de suite pensé « que je déteste ces humains » ou « que je déteste ces riches humains », je sais pas trop. Une haine de l'humanité, globalement. Encore une fois, des œuvres de fiction font un miroir sur notre propre société et l'argent qui peut tout faire et tout avoir, écœurant.

Vénus de Manille, Vénus de Milo, évidemment que je devais la représenter. Ma première idée était de la mettre seule, avec un fond. J'ai tout de même tenté avec un décor, d'autres personnages, une scène : un contexte. Après avoir demandé l'avis du public, il fallait le contexte, évidemment. Ces deux versions brouillons ont été faites au numérique.

Mais pour la version finale, je voulais la traiter comme moi j'ai commencé l'illustration, avec de la matière. J'ai retrouvé mon amour de toujours : la gouache. Le texte nécessitait qu'on puisse voir des coups de pinceau sur cette image.

Laure Truffandier


Béton, Plâtre et Parpaing
de Xavier Lhomme
illustrée par Lola Collenot

Nouvelliste acharné, je participe à de nombreux concours et appels à textes. Quand j’ai pris connaissance de celui d’ImaJn’ère 2024, cela m’a aussitôt renvoyé à un autre auquel j’avais participé quelques mois plus tôt et dont le thème était Pol’Art (art et polar). L’AT « textes de l’Art » (joli jeu de mots) avait l’avantage d’offrir plus de volume et de ne pas imposer le lieu de l’action. J’ai pu décongestionner mon texte en gardant l’intrigue et en changeant personnages et lieu d’action. C’est avec plaisir que j’ai pu mettre en scène Gwenaëlle Walker et Axel Beutz, une policière et un photographe. Ces deux Bordelais, entre lesquels règne une amitié bizarre, proche de la relation maître/esclave, sont deux personnages récurrents de mes histoires policières. Plusieurs nouvelles sont déjà parues et un premier roman, mi polar/mi fantastique, est en recherche d’éditeur.

En choisissant le thème de la nouvelle « Béton, plâtre et parpaing », la chanson « Plâtre et ciment » d’Aubert’n’Ko m’est immédiatement venue à l’esprit. J’aime bien faire des clins d’œil musicaux dans mes textes, j’ai donc nommé l’entreprise de BTP « Ciments et plâtres » et j’ai baptisé son PDG Jean-Louis Kolinka, en hommage aux deux musiciens (mais est-ce un hommage ? Il faudra leur demander !)

Autre pratique que je m’autorise parfois, j’ai fait intervenir – avec son accord – un personnage réel. Il s’agit cette fois du plasticien Antoine Bondu dont j’aime le travail basé sur le vieillissement des matériaux de construction (métal, béton).

Xavier Lhomme

Pour cette nouvelle, j'ai décidé d'aborder un style sombre et inquiétant, un petit air de BD avec ses deux cases qui nous laissent imaginer les autres.

J'ai commencé mon esquisse sur Procreate, comme à main levée, pour profiter de sa variété de feutres.

J'ai choisi d'illustrer un aspect de la nouvelle qui m'a frappé par sa potentielle pertinence graphique. Les personnages n'étant pas décrits,  j'ai eu tout le loisir de les imaginer.

C'est à vous désormais de vous laisser inspirer par ces lignes et de résoudre l'enquête.

Bonne Lecture.

Lola Collenot


Bed and Barbèque
de Francis Carpentier
illustrée par Nzo

Elle aurait pu être « Un Cœur Simple » de Flaubert, mais plutôt que l’amour d’un perroquet empaillé, son destin lui avait imposé celui de la poésie.

Elle aurait pu être la victime de ces viols que Jean-François Kahn qualifiera d’amours ancillaires à l’occasion de « l’affaire Strauss-Kahn », mais la nature l’avait dotée d’un physique repoussant qui la protégeait de ce type d’outrage.

Elle aurait pu, après l’orphelinat, connaître la misère crasse et finir à la rue, mais le hasard en avait fait la boniche irremplaçable d’une famille de bourgeois dépravés, chez qui elle avait trouvé le gîte et le couvert à vie ainsi que de quoi satisfaire ses fringales intellectuelles.

Elle n’avait pas de nom, pas d’ambition. Son travail était irréprochable. Ses appétits étaient modestes. Tout ce qu’il fallait à son bonheur c’est son traintrain et ses bouquins…

… Et bien sûr qu’on lui fiche la paix. Sinon gare !

Francis Carpentier

La première lecture de ce texte, nous donne un regard simpliste et juste du monde actuel ..

L' accumulation de biens et de données  vers la pauvreté intellectuelle...la richesse des livres délaissé..en vitrine ou papier peint...

L' illusion de la connaissance...parce qu'ils les possèdent ....sans même les toucher ni les lire..

Au centre de mon illustration,  ignoré, rabaissé , humilié....presque invisible… "La Souillon "...

Elle vit et existe grâce à ces poèmes...elle se nourrit de la richesse des mots...

Caché derrière un livre ( son jardin secret) ,seul ses yeux se détachent...elle a toujours son regard sur la réalité, maîtrisant toute situation..

Amanite et Datura poussent sur ces mains, donnant l' idée de maîtrise des poisons … une Porsche Cayenne brûle encore en bas de page..

L' ensemble de la scène se trouve dans un sablier , représentant la précarité de la vie...

Les mots traversent la tête de notre personnage,  la noirceur coule du livre et naissance au ténèbres....

Des poèmes et des mots donnant la mort....

Nzo


La Chaîne et la Trame
de Philippe Caza
illustrée par Le Gris Bouilloir

Évidemment, la première contrainte a été la suggestion donnée dès l’appel à texte : l’étymologie texte/tissage. Les contraintes, j’ai l’habitude, j’en fais une source d’inspiration. Donc tout de suite, prendre le métier à tisser comme métaphore de toute démarche artistique, littérature, musique ou art plastique. Et même, pour aller plus loin, l’expression d’une philosophie existentielle : le tissage qui se fait entre les projets programmés et les aléas qui viennent perturber le déterminisme, faire déraper les choses vers l’inattendu – pour le meilleur ou pour le pire.

Partant de là, réveiller des souvenirs philosophiques (le clinamen, Nietzsche, hasard et nécessité, etc.) et puis sortir des exemples – nécessaires, mais pas forcément sérieux. Petites idées qui traînent dans les recoins de mon cerveau ou notées par-ci par-là… lesquelles entrent dans le thème sans trop forcer… Le tir à l’arc et le robot, les coquilles et autres jeux avec les mots et la typographie, les citations approximatives, et quelques délires d’écriture semi-automatique.

Restait à lier tout le bazar : pour que les idées plus ou moins philosophiques rebondissent au lieu d’ennuyer, je choisis le dialogue entre deux Joe, dont l’un pourrait être la chaîne, l’autre la trame, à part qu’on ne sait jamais lequel des deux parle ou conduit. Le tout en voiture américaine sur une highway californienne où le pire comme le meilleur, encore eux, peuvent débouler à tout instant. Suspense.

Philippe Caza

Tout d'abord, j'ai été ravi et honoré de tomber sur la nouvelle de Caza. Dessiner pour un dessinateur, c'est toujours un défi. Puis j'ai lu la nouvelle et j'ai été pris de panique. L'écriture est très plaisante, pleine d'humour, fortement rythmée et imagée... Mais on est face à un tissu de dialogues philosophico-psychédéliques : comment ça se tient en une seule image un bidule comme ça ? Il y a bien un passage qui réclame une mise en image... Mais ça relève plus du storyboard ou de la bande dessinée... Éventuellement sur un grand format fragmenté on pourrait faire quelque chose, mais pour rendre ça lisible sur du A5 c'est une autre paire d'antennes !

Puis j'ai été contraint de mettre mes idées en stand-by pour des raisons de santé.

Ça m'aura sûrement éviter de trop m'engluer et piétiner dans de la bave de gastéropode et de revenir vers quelque chose de plus spontané. Au final, la spontanéité et le mou/changeant c'est sûrement ce qui transcrit le mieux l'esprit de cette nouvelle. Ça et le dynamisme. Autant y aller, tisser des petits traits, et laisser le pinceau baver tentaculairement.

Le Gris Bouilloir

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