Lorsque les éditions Scrinéo ont annoncé la création d’une nouvelle collection de SF, j’ai dressé un sourcil. Prudemment, j’étais intéressé de manière raisonnée car ma PAL fait depuis longtemps office de mur porteur dans mon humble demeure. Tout à changer quand ils ont dévoilé les noms des deux auteurs qui ouvriraient la collection : Floriane Soulas et Pierre Bordage, excusez du peu ! Bah du coup, dans l’aprèm j’ai enterré mes résolutions, passé commande des « Oubliés de l’Amas ». Et, malheureusement, je l’ai tombé dans les deux jours qui ont suivi sa prise de possession. Etant donné que les noces et rouille m'avaient fait le même effet, je suis à deux doigts d'appeler cela l'effet Soulas
Bref, parlons bien, parlons bouquin. Kat est recycleuse dans l’amas. Ouai, non, si je commence comme ça, sans vous donner le contexte, je vais vous perdre. Je vous préviens, le résumé est dense, mais bien moins que le bestiau : A l’époque du roman, l’humanité à colonisé le système solaire. Toutes les planètes ? Non, une dernière résiste encore et toujours à l’envahisseur : Jupiter. Et c’est pas faute d’avoir essayé. A force d’avoir perdu tous les corps expéditionnaires partis à la conquête de cette dernière, l’humanité s’est lassée et à continuer à vivre sur toutes les autres planètes, satellites et autre corps céleste un minimum susceptible d’accepter une colonisation. On a évolué, conquis l’espace et quelques planètes, mais on ne s’est pas forcément assagi, et les déchets de cette expansion, on ne sait toujours pas les recycler à moindre frais. Aussi, une immense décharge s’est créée dans l’orbite de la géante jaune. Mais c’est pas grave. Si on consomme toujours autant sans conséquence, on trouve toujours une utilité à nos déchets. Les gouvernements décidèrent donc d’installer la prison du système solaire dans cet amas de carcasses de vaisseaux. C’est dans cet univers clos qu’échoue notre personnage principal. Kat, Ekaterina de son vrai nom, est donc une recycleuse qui est venue s’échouer dans cet enfer pour y perdre son passé et retrouver son frère jumeau disparu. Un début d’histoire basique, une quête éculée me direz-vous. HAHAHAHA, si seulement…
Dans son roman, Floriane arrive à nous embarquer sur les pas d’un trio de personnages haut en couleur que rien n’aurait dû rassembler. Si l’histoire est bâtie sur une dynamique de personnages atypiques et totalement intéressés, cette histoire marche. Ici, pas de femme badass qui botte des culs comme un femenwashing éhonté. Kat est une femme ni faible, ni forte, intelligente et totalement humaine, qui lâche tout pour aller retrouver son frère jumeau disparu et qui est bien trop consciente de ses faiblesses et du besoin d’aide qu’elle a, ne serait-ce que pour survivre aux tabassages en règle qu’elle subit ponctuellement dans cet univers dur et sans pitié. Elle finit par approcher de Jaspe la mécanicienne de l’amas, une femme à la limite du cyborg qui n’use quasi jamais de violence tant le reste des gens savent qu’elle est dangereuse et que personne ne pourra gagner physiquement contre elle.
Mais qu’on ne s’y trompe pas, Jaspe n’est pas non plus une bonne samaritaine qui aide Kat par bonté d’âme ou par nécessité scénaristique. Elle aussi cherche son « âme sœur » porté disparu depuis des années et dont les derniers indices indiquent un voyage vers Jupiter. Et puis Pavel, le jumeau, le frère disparu. L’éternel absent de ces pages mais omniprésent dans l’histoire. C’est d’ailleurs un tour d’écriture assez remarquable de faire de l’absence d’un personnage, une véritable présence. Je ne parle pas ici de toujours rappeler au lecteur de l’absence et du souvenir d’un disparu, mais réellement de le faire exister et de le faire agir alors même qu’il n’est pas là et qu’il a disparu 2 ans avant la venue de Kat sur l’amas
D’une plume légère et presque désinvolte, l’autrice arrive à nous hameçonner sur une histoire dont les ingrédients sont des plus basiques : les liens familiaux, une quête initiatique noyée dans une recherche fraternelle. Mais quelle aisance, et quel contexte. Ne s'arrêter qu’à ces thèmes éculés en occultant les questions de société tellement actuelles serait une erreur. Jugez par vous-même : place de la femme dans les sciences dures, consumerisme à outrance, dérive scientifique, perversion militarisante des innovations scientifiques, émancipation d’une génération vis-à-vis des figures phagociteuse parentales, utilisation et émancipation des intelligences artificielles. A notre époque ou nous sommes encore abreuvé du héros au mille visages, ce héros bien malgré lui qui s’en sort un peu par hasard et beaucoup parce qu’il est l’élu et donc fondamentalement bon, trouver une héroine sans fil blanc, qui na rien d’héroïque et qui est souvent confronté aux conséquences de ses actions, à quelque chose de raffraichissant.
Autre détail qui peut avoir son utilité dans l’approche du livre. L’histoire se passe autour de Jupiter, avec cette dernière comme décor intra et extra diégétique. Jupiter est une planète de gaz (pour ce qu’on en sait), et son atmosphère est bardée d'orages dont les moins violents sont 1000 fois plus intenses que ce qu’on a l’habitude d’avoir sur notre bonne vieille planète bleu. Je trouvais que Floriane décrivait hyper bien les descriptions des effets d’énergies touchant les carlingues des vaisseaux et leurs répercussions ainsi que la technologie nécessaire pour supporter tout cela. Je me disais qu’elle avait dû avoir de sacrées discussions avec ses bêta-lecteurs sur le sujet. Mais ça c’était avant de me rappeler qu’en plus d’être une autrice de génie, c’était avant tout une docteur de génie, spécialisée en aéronautique, et que c’était justement l’objet de sa thèse soutenue avant de sortir « Rouille » en 2018. Bon, après discussion avec Mme Soulas, nul besoin d’avoir lu sa thèse pour comprendre « Les oubliés de l’Amas » mais ce dernier pourrait sans doute faire office de prologue de thèse. Avec ce roman, qui montre que même au top, elle fait encore mieux, Floriane Soulas prouve qu’à chaque nouvelle histoire elle fait dans le 100 fois mieux. Vivement sa prochaine idée. En attendant, ne faites pas l’erreur de passer à côté de ce chef-d'œuvre.
Pierre Marie Soncarrieu