Anergique – Célia FLAUX – Actu SF

1-Thème

Voici un sympathique mélange qui fait fi des étiquettes dont raffolent certains de nos contemporains. L’Angleterre et l’Inde où se déroule l’histoire font bien sûr penser à l’époque victorienne dans laquelle les dirigeables donnent un verni de steampunk, mais la partition des êtres humains entre denas et lynes offre une peinture de la société tout à fait originale. Si le mot « magie » est parfois prononcé, c’est d’énergie dont il est question la plupart du temps, ce qui nous ramène à la frontière floue entre le fantastique et la science-fiction dont nous ne débattrons pas ici.
Les denas, donc, fournissent l’énergie dont les lynes ont besoin, pour vivre tout d’abord, mais aussi pour faire fonctionner des appareils qui en consomment, et, parfois pour utiliser les pouvoirs qu’ils possèdent. On pourrait penser que les denas possèdent les moyens pour dominer les lynes totalement dépendants de cette énergie. Or, il n’en est rien. Dans cette société, les lynes représentent la classe dirigeante et ce qui va avec : richesse, pouvoir politique… Malgré tout, il existe une symbiose de fait, plus ou moins consentie.
C’est dans ce contexte que se déroule l’intrigue qui mêle enquête policière et aventure fantastique. Une insaisissable violeuse d’énergie, qui n’hésite pas à accaparer la totalité de l’énergie de ses victimes au point de les tuer, refait surface après plusieurs années durant lesquelles on a perdu sa trace. Liliana, excellente enquêtrice et garde royale de Sa Majesté, ainsi qu’Amiya, le seul denas ayant survécu à l’attaque de la violeuse, vont tenter d’appréhender la meurtrière.

2-La singularité de ce roman

Sur ce thème qui peut sembler classique au premier abord, Célia Flaux nous entraîne, avec une grande sensibilité, sur divers chemins narratifs qui, au-delà de la pure aventure, ne peuvent manquer d’interpeller le lecteur sur des sujets contemporains et humains.
Tout d’abord, le récit oscille entre les points de vues des divers protagonistes, en particulier ceux de Liliana et d’Amiya, tout en conservant la première personne. Si le procédé peut parfois déstabiliser le lecteur inattentif, il a le mérite de le faire pénétrer dans l’intimité des personnages, au point qu’on ne puisse rien ignorer de leurs grandeurs et de leurs faiblesses, de leurs désirs, de leurs angoisses, de leurs dilemmes. Comme je l’ai dit plus haut, le style de Célia Flaux est sensible et profondément humain, ce qui rend particulièrement émouvante, vue de l’intérieur, la perception qu’ont les héros des événements qu’ils traversent et ressentent.
On appréciera également la peinture de la société et de son environnement. C’est une peinture que je qualifierai d’impressionniste, car elle nous est proposée par touches successives. Si les personnages sont au centre de l’écriture, le milieu dans lequel ils évoluent, que ce soit à Londres ou en Inde, prend corps progressivement à travers le comportement des personnages secondaires, mais aussi grâce aux parcelles de couleur des paysages, villes, villages et lieux d’habitations que le lecteur traverse.

Il serait trop long ici d’aborder tous les sujets de société ou de relations humaines qui sont abordés à travers les péripéties que vont vivre les héros. Je souhaiterais cependant citer un point qui, à mon sens, constitue la clé de voûte de ce roman : donner et recevoir.
L’anergie est une forme d’affection qui, pour les denas se présente sous la forme d’une hantise à donner son énergie, et, pour les lynes au contraire, une appréhension à recevoir cette énergie. Célia Flaux nous montre avec finesse que donner et recevoir sont deux aspects d’un même acte d’humanité. Il n’est pas forcément plus facile de recevoir que de donner. Il y a en effet dans ces deux comportements, une symétrie qui nécessite une abnégation aussi bien du côté du donneur que de celui qui reçoit. Ce sujet, d’une profondeur étonnante quand on réfléchit, est en permanence sous-jacent à l’intrigue. C’est le comportement des héros vis-à-vis de cet aspect qui donne tout son sens à l’évolution de leur psychologie au cours de l’histoire.

3-A qui s’adresse ce roman

Je me garderai de mettre une étiquette « à partir de tel âge », car il existe plusieurs niveaux de lectures de cette histoire. Elle s’adresse autant aux lecteurs qui voudront seulement se laisser emporter par une intrigue passionnante aux multiples rebondissements, qu’à ceux qui, à travers ce livre, découvriront des aspects sociaux et humains qui donnent à réfléchir.

Patrice Verry

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