Upside Down – Richard Canal – Mnemos

  1. Thème.

Il s’agit d’un thème classique de la science-fiction qu’on retrouve en particulier dans le manga Gunnm qui a inspiré le film Alita ou encore dans le film Elysium ou dans une certaine mesure dans Les Seigneurs de l’instrumentalité de Cordwainer Smith.

Le monde est divisé en deux, le dessus et le dessous :

– Tout d’abord physiquement avec au-dessus les atolls qui orbitent autour de la Terre en orbite basse, et en dessous la Terre hyperpolluée, couverte d’un nuage dont les trouées aléatoires permettent rarement d’entrapercevoir les étoiles.

– Socialement ensuite avec au-dessus, comme on peut s’y attendre, les grandes familles d’une richesse inouïe qui vivent sur les atolls en compagnie que quelques privilégiés attachés à leur service ou au bon fonctionnement de ces atolls, et en dessous, les classes laborieuses restées sur Terre qui sous la poigne de fer des consortiums fournissent aux atolls tout ce dont ils ont besoin… ou envie !

Dans ce contexte, des attentats non revendiqués mettent à mal l’illusion que sur les atolls rien ne peut arriver aux nantis.

Deux thèmes supplémentaires enrichissent le récit :

– L’écologie, bien sûr qui, si elle reste militante, ne fait pas preuve d’une agressivité excessive envers le lecteur (comme on peut parfois en trouver dans certains textes engagés).

– L’art qui est présent à tous les niveaux (dessus et dessous) et dont l’opposition met en évidence deux aspects irréconciliables: l’art mimétique, pâle imitation d’œuvres du passé, et l’art créatif qui par certains côtés rappelle les meilleurs moments de La Bohème et l’Ivraie du regretté Ayerdhal.

 

  1. Richesse psychologique et littéraire du roman.

On appréciera la diversité des personnages en présence et leurs personnalités fouillées. Ces personnages se répartissent en divers groupes aussi dissemblables que hauts en couleur :

*les nantis : peut-être un peu trop caricaturaux, mais perçus par le lecteur comme une civilisation en fin de règne (un peu comme lors de la chute de l’Empire romain).

*les flottants : ceux qui vivent sur les atolls et en assurent le fonctionnement technique et social.

*les terriens : resté en bas ils se contentent de bosser et de s’abrutir devant les divertissements en réalité virtuelle fournis par les nantis. Il reste cependant quelques « révolutionnaires » qui n’ont pas abdiqué et tentent de garder une raison de vivre. Deux artistes qui font partie des personnages principaux sont à leur manière des révoltés. Un homme qui crée des enregistrements psychiques de grande ampleur à partir des désirs et des rêves inavoués de ses spectateurs. Une jeune fille qui sonorise en live le spectacle du précédent. Cette extraordinaire sonorisation est possible grâce à un don qui peut parfois devenir une malédiction : elle entend la musique en provenance de tout ce qui l’entoure (matière organique ou inorganique, animaux, êtres humains…).

*les clones : pour la plupart ce sont des reconstitutions d’anciens artistes de cinéma qui servent à tourner de mauvais remake de vieux films servant à l’abrutissement des masses terriennes. Maggie C (pour clone) Cheung est l’un des personnages principaux.

*les keïnos : des animaux à qui on a donné l’intelligence. Le compagnon de Duke (l’un des héros du roman, enquêteur de son état) est un Saint-Hubert qui picole comme un détective de polar américain, et dont la culture et le goût artistique relèvent celui de son ami humain.

*les IA enfin : on ne sait plus trop comment les intelligences artificielles travaillent, mais du moment qu’elles obéissent et que le résultat est là !

 

On appréciera également la qualité des descriptions d’ambiance, en particulier des scènes artistiques qui forment un contraste terrifiant avec le cloaque qu’est devenue la Terre.

De plus, l’immersion dans les sentiments et les motivations des personnages est totale.

 

Le scénario, s’il n’est pas complètement original, donne une vision à la fois grandiose et tragique du futur de notre civilisation, non dénuée d’un certain optimisme. On souscrit sans restriction à ce qui est exprimé sur la 4e de couverture : « l’intolérable beauté du désastre ».

 

  1. Une histoire complexe qui ne s’adresse pas à des lecteurs débutants.

Compte tenu de ce qui précède, il est clair qu’on appréciera d’autant mieux ce roman que l’on possède un certain vécu qui permettra de mieux comprendre les personnages et de mieux s’y identifier. De même un verni de culture général permettra au lecteur de saisir toutes les références qui transparaissent à travers le récit : toutes ne sont pas en effet issues de la science-fiction.

De plus, l’explication progressive au cours du récit de certaines notions (à l’inverse d’un lexique par exemple) rend l’immersion un peu difficile au début.

On conseillera donc plutôt ce livre à un lecteur ayant à la fois une habitude d’aborder des œuvres complexes ainsi qu’une bonne connaissance des univers de la SF.

Mais rien n’empêche les autres de tenter l’expérience. Ils ne pourront sortir qu’enrichis de cette lecture.

 

Patrice Verry

 

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