Il ne fait aucun doute qu’Emmanuel Chastellière, écrivain de fantasy et de science-fiction, mais également traducteur et fondateur/rédacteur en chef du site Elbakin, est amoureux et que son amour a pour nom Célestopol.
Les lecteurs et lectrices avaient déjà pu découvrir son univers dans le premier recueil de nouvelles de l’auteur, Célestopol, paru en 2017 chez Libretto (qui avait remporté le prix Révélation 2018 du festival Les Futuriales). Un nouveau voyage nous est offert avec la parution en 2021, aux éditions de l’Homme Sans Nom, de Célestopol 1922, qui peut se lire de façon indépendante du premier opus, et qui se concentre sur l’année 1922 en plein coeur des années folles.
On y trouve 13 nouvelles dont l’action se passe en grande majorité dans la ville lunaire de Célestopol, construite par le Duc russe Nikolaï sous un immense dôme, grâce à une technologie rendue possible par le Selenium, dont les canaux ambrés structurent la cité. Si certains protagonistes apparaissent à plusieurs reprises, il y a très peu de liens entre les différents textes, et le personnage principal est sans conteste cette ville envoutante et mystérieuse, baignée de magie et de progrès.
Notre lecture nous amène donc à rencontrer un vaste nombre de ses habitants, aux histoires souvent bouleversantes : un duo improbable de mercenaires, des magiciens, une pilote d’aéronef esseulée, des scientifiques et des archéologues qui poursuivent leurs rêves jusque sur la lune, des automates dont l’humanité nous fait douter que leur cœur ne soit que mécanique, des comédiens qui mêlent Shakespeare et folklore slave. Des histoires et des personnalités différentes, certes, mais des êtres toujours animés par cette passion pour la cité et ce qu’elle représente à leurs yeux. Par petites touches, à chaque texte, on apprivoise cette ville, tour à tour écrin somptueux et machine dévorante, et on se balade dans ses rues, son opéra, ses forêts, ses casinos et autres attractions, mais également dans ses ombres et ses mystères, à la lisière du surnaturel et de la science, là où ils se confondent et s’opposent à la fois.
La plume de l’auteur est époustouflante et terriblement évocatrice. Elle réussit à décrire un monde steampunk tout en finesse et sensibilité. Une profonde mélancholie empreigne les textes du recueil, comme si on lisait réellement une version possible de notre passé, dans lequel nous nous serions arrachés à l’attraction terrestre, simplement pour découvrir que les mêmes épreuves, les mêmes injustices, les mêmes folies nous attendent là-haut. Qu’on les apporte avec nous, où que nous allions, qu’on ne peut les fuir. Car les nouvelles de Célestopol 1922 ne brossent pas le tableau d’une utopie scientifique, mais d’une aventure humaine présentée à travers toutes ces tranches de vie.
L’auteur mêle habilement des éléments fantastiques ou historiques, en soulignant ainsi les points de divergence avec notre réalité, inscrivant résolument son livre dans le style uchronique. Il multiplie également les clins d’œil aux grands personnages et artistes de l’époque (comme Marie Sklodowska-Curie ou Howard Carter), invitant ainsi notre propre imagination à donner corps à cette cité pas si lointaine.
Face à un tel travail d’orfèvre, le lecteur peut même se trouver en proie à une certaine frustration. Avec la suggestion de tant d’enjeux géopolitiques et de prouesses technologiques, il aurait pu être intéressant d’avoir parfois des intrigues plus centrées sur le rôle et le destin de la cité elle-même et de ce Duc énigmatique. Seule une des dernières nouvelles, « La fille de l’hiver », laisse entrevoir une épopée plus vaste et riche en révélations, qui nous donne envie de demander à Emmanuel Chastellière de nous ramener de nouveau sur la lune pour en découvrir davantage.
Un très joli voyage donc, qui plus est porté par un objet-livre magnifique, tant par sa couverture que par sa maquette, agrémenté d’une somptueuse carte de la ville en fin d’ouvrage.
Audrey Pleynet