À peine six ans après la sortie de son roman, Royaume de vent et de colères, ovationné par le lectorat, Jean-Laurent Del Socorro revient sur les bords de la méditerranée de la fin du 16ème siècle. Mais avant de vous parler plus en détail de ce roman, je me dois de vous mettre en garde : il ne se lit pas comme une histoire relatant un fantasme historique. Il s’écoute comme une confidence murmurée sous la chaleur d’un crépuscule d’été.
Le premier chapitre de ce livre est un contrat de lecture par excellence. On y trouve tout ce qu’il faut savoir et admettre avant de commencer l’histoire et l’intrigue qui vont nous porter. Le personnage principal est Silas l’un des protagonistes de Royaume de vent et de colères. Il discute avec un garde et lui dit qu’il va lui raconter son histoire. Plus exactement l’histoire de Sinan, qui est son véritable nom. En changeant de nom, il a changé de vie et laissé toute son histoire derrière lui. Ainsi, l’auteur nous indique que ce livre est en rapport avec son précèdent roman mais sans aucun lien direct sinon d’expliquer comment ce personnage haut en couleur en est arrivé là. Et il en a des choses à raconter. Sinan est un Monfis : un musulman du califat de Grenade né pendant la fin de la Reconquista et qui ne connaitra donc que l’Espagne catholique. Il est donc converti et baptisé sous peine d’exil. Et quand je dis lui, je parle évidement de toute sa famille. Son père est un notable influent qui ne veut pas perdre tout ce qu’il possède et ne vit plus que dans les souvenirs de son enfance berbère. Sa mère est une immigrée turc qui a laissé sa joie de vivre sur les bords du Bosphore. Sinan a une jumelle et une petite sœur. Et toute la famille vit sa religion au sein de leur maison sous l’ombre de la cathédrale de l’incarnation et la crainte de l’inquisition. La meilleure ambiance donc pour une enfance paisible. Si seulement c’était les seules difficultés qu’allait devoir supporté Sinan, il ne serait sans doute pas devenu Silas.
Mais l’histoire de Sinan est aussi riche que dramatique et une seule vie n’aurait pu supporter toutes ces épreuves. Ce n’est donc pas qu’une histoire que nous lirons mais trois vies que nous parcourrons. Un corps pour trois destins. Sinan né monfis, un berbère musulman vivant en Espagne catholique. Pour vivre et surtout survivre à cette guerre de religion, il partira en France, à Montpellier, pour y suivre des études de médecines sous le nom de Simon. Il y vivra là aussi les guerres de religions entre catholiques et protestants ainsi que l’antisémitisme normalisé de l’époque. Avant de revenir en Espagne et de participer aux révoltes morisques puis quittera définitivement l’Espagne pour Marseille et deviendra celui que l’on connait sous le nom de Silas. On peut noter l’énorme qualité de ce roman, de parler de ces jeux politiques et religieux sans tomber dans le parti-pris ni le cliché. Il nous narre aussi la place de la femme, l’ouverture intellectuelle de l’époque, pour les autres civilisations à défauts des autres religions. Ainsi que pour l’amour du voyage sans oublier la symbiose entre philosophie, médecine et occultisme.
Vous l’aurez compris, ce roman m’a subjugué et je ne doute pas qu’il vous fera le même effet. Mais mon avertissement demeure : Au fil des pages, Jean-Laurent se fait moins auteur que conteur et son ouvrage ne doit pas être abordé comme une simple lecture d’un auteur de talent mais comme une douce mélopée envoutante nous livrant des secrets presques oubliés.
Pierre-Marie Soncarrieu