Ellipses d’Audrey Pleynet

Pour avoir déjà parlé longuement d’Audrey dans la promotion de l’anthologie ImaJn’ère 2019 (« Frontières ») dont elle fut l’une des trois lauréates SFFF avec sa nouvelle « La tenancière », nous ne la couvrirons pas plus de louanges qu’elle reçoit déjà de toutes part.
En effet, depuis quelques années, Audrey est une habituée des anthologies, sélectionnée ou récompensée dans pas mal de concours de nouvelles du genre. Ces exercices répétitifs ont eu le double avantage de la faire remarquer par les maisons d’éditions de renom du milieu, et de lui donner un répertoire de courtes histoires relativement fourni, lui permettant l’extravagance d’éditer un recueil de ses nouvelles qui lui tiennent à cœur et que nous, lecteurs, n’avons pas eu la chance de croiser au détour d’un sommaire.

Voici donc « Ellipses », anthologie auto-éditée. Ce recueil contient une œuvre relativement connue : « Citoyen + » que d’autres ont déjà chroniqué avec talent et sagacité, aussi passerai-je dessus de manière totalement éhontée pour me concentrer sur les sept autres nouvelles. L’ensemble de ces écrits choisis par l’auteure forme un panorama de ses goûts mais montre aussi l’évolution de ses prises de position lors de son évolution littéraire.

« Les reines de cyanira » est une nouvelle à la limite du space opéra et de la fantasy. Nous y apprenons que les humains ont colonisé la galaxie et laissé les colons libres d’organiser le système sur chaque nouvelle planète. Les personnages que nous suivons sont donc relativement semblables à nous et l’héroïne est reine de son royaume féodal. Jeune reine d’ailleurs. L’histoire commence peu de temps après son intronisation et nous permet de découvrir en même temps qu’elle, les joies de la régence, pour le meilleur et le pire. Sur fond de problèmes d’éthique, de culpabilisation, de position vis-à-vis de son royaume et de ses sujets, Audrey nous place un personnage terriblement empathique qui nous implique dans ses problèmes et nous propose des solutions qui ne sont pas forcément les bonnes. A nous, lecteurs, de voir si nous aurions fait pareil et s’il existe une bonne conduite dans les imbroglios politiques.

« Tu t’en souviendras ? » est une histoire d’amour à la Caïn et Abel. Le personnage principal est une femme, au passé plus que trouble et à l’identité inconnue. La nouvelle est écrite à la première personne et à aucun moment nous n’aurons son nom. Seuls nous seront donnés Bird et Chardo qui sont des caïds d’une ville décrépie qui sert de décor à l’intrigue et Vicky, l’alter-ego de « l’héroïne », Après un coup foiré, notre personnage doit fuir la ville, et dans sa fuite, elle tombera sur Vicky, gamine abandonnée dans des ruines. Alors qu’elle s’était forgé une vie selon l’adage « mieux vaut être seule que mal accompagnée », la femme mystère prendra sous son aile Vicky et lui apportera, sinon un amour maternel, un exemple féminin. Qui sait quelles aventures elles vivront encore et comment leur relation évoluera.

« Les questions que l’on se pose » nous propulse dans les méandres des réflexions d’une machine informatique et de son évolution quand son utilisation, initialement destinée à de la recherche purement théorique, est dévoyée pour servir les intentions d’un gouvernement totalitaire.

« Dolores » nous présente Christine, scientifique et ingénieure qui a subi il y a peu une tragédie familiale. Elle met donc au point une puce neurale qui permet de transférer les sensations de douleurs que l’on peut ressentir à une autre personne consentante. Son idée devient commerciale sous l’impulsion de son amie et collègue Anna, mais comme souvent, les inventions altruistes sont souvent détournées de leur utilisation initiale par l’appât du profit.

« Icône » est une nouvelle qui pose la question de l’esthétisme, de la recherche du beau par le point de vue d’un photographe. Jusqu’où sommes-nous prêt à aller pour plaire, jusqu’à ne plus être nous-mêmes ?

« Alchimiste du Rêve » nous place dans un monde où la totalité de l’humanité vit sur une minuscule parcelle de terre entourée d’eau. Les civilisations anciennes se sont effondrées et la montée des eaux a totalement englouti les surfaces habitables. Dans ce reste de population, les rêveurs ont vu le jour. Ces êtres humains aux capacités psioniques peuvent, lorsqu’ils le rêvent, déplacer la matière. Il a donc été décidé de former des binômes comprenant un rêveur et un guide, quelqu’un qui serait capable de guider les rêves du dormeur en modélisant ce qui doit être accompli. La nouvelle est d’une fraîcheur optimiste et, pour moi, la meilleure du roman tant par son originalité que par les péripéties.

« Tu étais pourtant si fier de moi », il fallait bien toucher un peu au gore et c’est cette nouvelle qui tient ce rôle. La nouvelle est écrite comme si nous avions accès à la psyché d’un être. Nous apprenons bien vite que cet être est une création artificielle à l’image de la créature de Frankenstein, qu’il ne vit que pour rendre fier son père, son créateur, et qu’il est prêt à tout pour cela. Encore une fois, cette nouvelle traite des évolutions technologiques et des dénaturations qu’une découverte altruiste peut engendrer. Elle est aussi terriblement empathique, suffisamment pour m’avoir fait penser au roman exceptionnel « Des fleurs pour Algernon ».

A ce sommaire déjà bien étoffé s’ajoute donc la nouvelle « Citoyen + » qui nous parle de l’addiction aux nouvelles technologies, sujet d’actualité s’il en est.

Ellipses est une œuvre qui ne paye pas de mine : 150 pages sur 8 nouvelles, autant dire qu’en une soirée c’est plié. Mais si vous voulez pouvoir profiter de tout le potentiel imaginatif et intellectuel de ces nouvelles, lisez une nouvelle par soir ou entre deux romans et c’est parfait. A mon sens ce livre remplit pleinement son objectif, à savoir questionner sur des sujets totalement d’actualité. Bien évidemment l’auteure a un parti pris qui peut être clairement explicite mais en aucun cas il n’enlève de qualité à ces différentes nouvelles. Parfait pour petits et grands, pour se divertir ou réfléchir, il n’y a aucune raison pour que vous n’en profitiez pas.

 

Pierre-Marie Soncarrieu

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