Mü éditions

Depuis quelques temps, je ne lis plus. Enfin, je ne prends plus le temps de lire des choses qui me plaisent. Il faut dire que les ouvrages qui ont pris le sommet de ma PAL sont les annales de DCG et autres ouvrages de référence en comptabilité. Que des choses qui font rêver quoi…

Sauf que voilà, ce week-end, j’étais à Livre Paris, le salon des éditeurs, où l’on trouve de tout et surtout des amis. Au détour de l’une des allées, j’ai retrouvé avec plaisir le stand d’une maison d’édition que j’avais découvert lors de mon passage aux Rencontres de l’Imaginaire de Sèvres. Mü édition. Il faut avouer que c’est leur choix de nom qui m’avait interpelé avant de m’y intéresser.

Pour celles et ceux qui ne connaissent pas, Mu, le continent de Mu ou encore le continent perdu de Mu,  est un continent englouti mythique dont l'existence fut proposée au 19e siècle par le mayaniste Augustus Le Plongeon. Il le situait dans l’océan Atlantique et avançait que cette civilisation disparue il y a plusieurs millénaires aurait propagé sa technologie avancée dans le monde entier ; elle aurait notamment permis l'édification des grandes pyramides éparpillées sur le globe. Comme l'Atlantide, il aurait été détruit il y a 12 000 ans par les dieux pour punir une civilisation décadente. L'existence de ce continent est soutenue par des courants ésotériques ou New Age, s'appuyant sur des découvertes comme celle de la structure sous-marine de Yonaguni.

Forcément pour un adepte de l’imaginaire et des vieilles légendes, je ne pouvais pas passer à côté de cette maison d’édition sans leur parler un peu. Et là, quelle surprise d’y trouver un livre que j’avais adoré lorsque je l’avais lu !

La débusqueuse de Mondes de Luce Basseterre.  Un space-opera où l’aventure spatiale n’est que le décor des interactions de trois entités fondamentalement différentes, que tout oppose mais qui sont liées par un objectif commun. On y trouve Koba, un vaisseau interstellaire organique, D’Guéba, une batracienne capitaine du vaisseau et Otton, un humain esclave onirique... Ouais, je sais, on se demande ce qu’elle a fumé quand elle a écrit ça. Et pour en avoir longuement discuté avec elle, c’est de la qualité, croyez-moi ! Koba est un leader pirate de légende. D'Guéba est une meneuse ambitieuse dont le principal business est le remodelage de planètes. Otton, un être dont on vampirise les rêves pour un épicurisme décadent, découvre qu'il peut et veut être indépendant. Passé l’incipit et la mise en place de l’objectif, le roman se focalise sur une sorte de ménage à trois, un trio infernal. Game of Thrones dans l’espace et à trois sur fond de réflexion politique, philosophique et humaniste à la Star Trek.

Fort de cette bonne lecture un peu datée, je commençais, toujours à Sèvres, à m’intéresser aux ouvrages des auteurs présents qui réussirent à me convaincre de m’aventurer dans leurs pages. Négociation qui n’était pas gagnée d’avance car je savais avoir peu de temps à laisser à la lecture. Et pour cause, quand je commence un livre qui ne me convient pas dans les 3 premiers chapitres, je l’abandonne sans regret ni regard en arrière. Mais cette fois ce fut un sans-faute.

Je tombai d’abord sur les Confessions d’une séancière de Ketty Steward. Ce fut mon premier choix un peu par contrition car j’adore son auteure. Mais dans un genre très amour vache. Mes piques parfois maladroites lui valent bien mon premier choix. Et là, ce fut une claque. Un recueil de nouvelles comme je les aime. Un peu à la Fredric Brown ou à la Bradburry. Un thème central et beaucoup d’interrogations. L’auteure se nourrit de ses origines créoles pour faire voyager son lecteur. Il faut dire qu’une séancière, en créole, c’est une shaman. Une devineresse. Grace à elle, nous pouvons visiter le monde des rêves et des esprits. Dans chacune des nouvelles, les protagonistes ne se connaissent pas. Les décors et motivations changent mais reste la fascination pour la mer, la nature au sens large et l’humain. Ketty nous présente toute une palette de personnages qui n’ont d’autre but que d’exister pour être disséqués émotionnellement. Entre chaque nouvelle, un poème, une brève poésie qui nous laisse entrapercevoir le goût de l’interprétation de son auteure et sa volonté de nous emmener découvrir sa culture et l’héritage dont elle témoigne. A cet effet d’ailleurs, Ketty nous a constitué un lexique afin de ne pas être trop perdu au milieu de ces pages et de ces situations qui pourraient nous sembler si étranges mais qui ne sont qu’une autre réalité de notre monde.

A sa suite, j’avais un autre court texte qui n’a pas fait long feu : à peine le temps du trajet ferroviaire pour revenir sur Angers, Guerre aux grands ! de Pierre Léauté. Notre monde, ou du moins, un qui lui ressemble. Et une guerre terrible entre la France et l’Allemagne. On va y suivre un jeune soldat, petit par la taille mais grand par le courage. Plus exactement par sa rage et sa soif d’en découdre. Sauf que voilà, Auguste Petit, de son nom qui deviendra grand, est blessé et verra la guerre se finir depuis son lit d’hôpital. Une guerre perdue pour la France. La France, vaincue, avilie, insultée et bafouée. Il ne peut pas laisser faire ça. Faire comme si de rien n’était et retourner à sa vie. De conversations en entretiens, il se constitue un petit groupe de fidèles. D’abord terroriste, il devient politique puis représentatif autant que vindicatif, c’est lui le seul, l’unique homme qui pourra redonner à la France sa grandeur d’antan, faire de nouveau de notre patrie tricolore, une patrie fière et victorieuse. L’auteur utilise toute une palette de tons allant du sarcasme au cynisme en passant par l’ironie pour cette facétie. Car ne nous voilons pas la face, ce texte est une uchronie des plus réussies. Et si le nazisme était passé en France, comment aurions-nous réagi ? C’est le genre d’idée qui donnera l’inspiration à un obscur Jean Jacques Goldman pour une magnifique chanson. Rapide, sans bavure et vrai coup de poing au ventre. Ce livre prend aux tripes et questionne. D’autant qu’il n’y a jamais eu d’uchronie autant d’actualité ni vraisemblable.

Pour me remettre de cette lecture, j’avais entamé un autre livre court dont le titre m’avait fait triper par sa référence : Dernière fleur avant la fin du monde. Si l’histoire s’était passée dans un bar avec comme quête épique une suite de pintes entre potes, ça aurait été parfait. Sauf que voilà, ce n’est pas le thème et ce livre n’a pas été écrit pour faire rêver. Toute la question de cet ouvrage c’est le point commun entre les abeilles et les humains. Dans son univers, Nicolas Cartelet nous présente Albert et Manon, un jeune couple. Lui est agriculteur, elle travaille à l’usine. Et leur monde se meurt. Sans abeille, plus de pollinisation, plus de pollinisation plus de fleur et plus de fleur, plus d’air. Ils vivent dans un monde gris. Des nuages gris sur un ciel gris que seul cache le toit gris de l’usine ou de la ferme. Le monde est terne, triste et sans espoir. Enfin presque, car au bout du verger, Albert cultive quelques rares fleurs. Chaque année, il pollinise à la main son champ avec la même ardeur qu’il met pour tenter d’avoir un enfant. Mais la nature est une rageuse et si on la tue, elle ne meurt pas sans nous emporter avec elle. Lorsque les abeilles se sont éteintes, la fertilité humaine a périclité avant de sombrer. Clairement pas le livre qu’il faut pour les soirs de déprime. Mais bordel, un livre à ce point engagé et criant de vérité qu’on le croirait écrit pas la pythie Cassandre, ça fout les foies et fait réfléchir.

On arrive au dernier mais pas le moindre : Cyberland de Li-Cam. Un ouvrage comprenant un court roman, une novella et une nouvelle. Mais les différents formats ne gênent absolument pas leur complémentarité. L’ouvrage se range dans le genre du cyberpunk. Pas celui à la Mad Max et son univers périclitant et décadent. Plutôt celui à la Ghost in the Shell où la technologie et le virtuel prennent le pas sur les relations et les interactions humaines. Dans son univers, Li-Cam imagine qu’un scientifique informaticien met en place un monde virtuel ouvert à tous et illimité. De cet alter monde viendra la création de la première intelligence artificielle. Et avec elle, et ses possibilités, la réaction tellement humaine face à l’inconnu et l’incompréhension : la guerre. Un parti conservateur déclarera la guerre à cet espace virtuel et à ceux qui en profitent. Mais l’aspect technique, technologique qui foisonne au fil des lignes ne sert que de prétexte, ici aussi, aux questionnements : la réalité et le virtuel, l’humain et ses interactions, l’affect et la raison mais aussi le transhumanisme autant que la Nature avec un grand N. Li-Cam se sert de ce texte comme excuse pour nous proposer son regard critique sur notre société, sur notre avenir, sur notre notion d'humain, mais aussi son évolution, ou bien encore la façon dont nous voyons le monde. Des textes qui, finalement, font un peu écho à notre société actuelle, principalement parfois dans cette peur du changement, dans cette notion d'idéologie conservatrice qui se développe parfois. Le vrai tour de force de ce livre est qu’elle ne prend pas parti. Elle critique avec un grand C en questionnant à la fois les thèses qu’elle aborde mais aussi les arguments qu’elle utilise, se faisant tour à tour l’avocat du diable et l’ange de bonne conscience. Et si je ne parle qu’aussi peu de l’histoire, de l’intrigue principale c’est que celle-ci n’est encore qu’un prétexte. Les personnages sont bien construits, un peu trop humanisés voire convenus mais ils sont les parangons des courants de pensée mis en opposition au fil des lignes. Leurs interactions n’ont d’autre intérêt que de guider le lecteur sur le fil de pensée qu’a eu l’autrice et qui ont amené à l’écriture de cet ouvrage. Finissez le livre, tournez la dernière page en cogitant sur l’amas d’informations et d’idées qui s’y trouventet vous finirez, de concert avec les héros d’encre et de papier, cette histoire.

Comme vous pouvez le voir avec ces cinq livres sélectionnés, on n’achète pas chez Mü édition par hasard ou par erreur. Leur volonté de publier des jeunes auteurs peu connus ou reconnus ayant une foule d’idées et la capacité de les partager en font une des maisons d’édition les plus intellectuelles de l’imaginaire. Pour l’instant, aucun de leur livre que j’ai pu lire ne laisse indifférent. On aime ou on n’aime pas, on approuve ou brûle le livre, mais on réagit toujours, et on en parle bien longtemps après avoir fermé le livre. J’ai d’ailleurs récupéré deux nouveautés chez eux qui ont déjà une sacrée réputation chez tous les libraires de qualité…

 

Pierre-Marie Soncarrieu

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