Journaliste dans la presse jeunesse puis écrivaine à plein temps, Carina Rozenfeld est l’autrice d’une quarantaine de romans, principalement dans la littérature de l’imaginaire. Les Anges mécaniques, dont le premier tome est sorti en octobre 2022 chez Gulf Stram éditeur, en font partie.
Royaume de France, XIII siècle.
Un voile éthéré et surnaturel apparaît soudainement, séparant le territoire en deux. Est-ce le paradis ou l’enfer qui attend ceux qui osent le traverser ? Personne ne le sait, car ceux-là n’en sont jamais revenus.
Des siècles plus tard, le phénomène a disparu des mémoires. Cependant le Voile est toujours là, et, dans le plus grand secret, certains veillent à ce que la frontière, désormais invisible, reste intacte et infranchissable. Ce sont les anges mécaniques. Lors d’une visite à Notre-Dame de Paris, Alix, étudiante, entrevoit l’une de ces créatures extraordinaires. Malgré elle, la jeune fille va se trouver embarquée dans un combat secret et ancien qui la dépasse, celui de ces gardiens ailés destinés à protéger l’humanité…
Comme le résumé le laisse entendre, l’intrigue de fond n’est pas d’une originalité renversante ; mais c’est sans compter l’emballage autour, qui lui donne toute sa force et sa singularité. Le Voile nous apparaît d’emblée comme une menace à la fois éthérée mais bien sérieuse, une impression renforcée par les extraits de journaux qui émaillent le récit : ils balaient aussi bien son apparition que la création de la société secrète visant à protéger l’humanité et les expéditions menées pour en apprendre plus sur cet autre monde. De fait, les informations sont distillées au compte-goutte mais, loin de nous donner la sensation de mieux comprendre, on termine notre lecture avec plus de questions que de réponses et l’intuition que nous n’avons encore rien vu.
En effet, le Voile ne constitue que la partie émergée de l’iceberg. Les ennemis qui se cachent derrière appartiennent à une espèce quasiment jamais vue en littérature : les gargouilles. Au-delà de leur acharnement à envahir l’humanité et à tout détruire (bien que les choses soient sans doute plus compliquées), ce qui les rend terrifiantes, c’est bien le contexte de leur apparition. Cela ajoute une touche de noirceur qui rend d’autant plus sérieuse la menace qu’elles représentent et nuance un récit pas du tout aussi manichéen qu’il semble être de prime abord.
Autre élément qui confère un peu de maturité à l’histoire, les personnages. Alix, notre protagoniste, a la tête sur les épaules et prend vite la mesure du rôle qu’elle doit jouer contre la menace des gargouilles ; de fait, loin de se plaindre ou de se rouler en boule dans un coin en attendant que ça se passe, c’est une jeune fille bien déterminée à protéger ce qui lui est cher et capable de prendre des initiatives parfois risquées pour défendre ses nouveaux amis. Parlant de ces derniers, ils ont tous un caractère et un background bien distincts, sans parler des genres, ethnies et orientations sexuelles très divers auxquels ils se rattachent. Tous ces éléments facilitent notre attachement et rendent la fin du livre d’autant plus poignante.
Ainsi, le premier tome des Anges mécaniques présente un récit mature et réfléchi comme en témoignent la force de caractère d’Alix et la menace du Voile et des monstres qu’il abrite. Rien n’est laissé au hasard, tout est expliqué notamment au travers d’extraits de journaux, mais sans trop en dévoiler – au contraire. Et bien sûr, le livre se termine avec un inévitable cliffhanger qui remplit parfaitement son rôle : combiné à tous ces mystères laissés en suspense, se jeter sur la suite à sa sortie semble une option parfaitement envisageable !
Bénédicte Durand