Par certains aspects, le sujet de ce roman fait penser à « Un paysage du temps » de Gregory Benford dans lequel un groupe de chercheurs tente de communiquer avec le passé pour éviter une catastrophe écologique. Mais là où cet auteur américain utilisait la physique des particules comme décor de son roman (ce qui permet de le placer dans la catégorie « hard SF »), Stéphane Pavanelli mise essentiellement sur le côté humain de l’aventure et jongle avec des thèmes se situant à la frontière de la SF postapocalyptique, du fantastique, de l’onirisme, voire de l’horreur.
Nous allons suivre les tribulations de deux héroïnes qui n’ont pas froid aux yeux.
L’une, Aby, vit à Dakar (Sénégal) en 1990 quand l’histoire débute.
L’autre, Abigail, travaille en 2136 à Port Elisabeth (Afrique du Sud) pour une entreprise de recherche agronomique. À cette époque les abeilles ont disparu, entraînant son lot de catastrophes écologiques. Pour couronner le tout, l’hémisphère nord est réputé radioactif et invivable. L’essentiel de l’humanité vit dans l’hémisphère sud.
C’est dans ce contexte qu’une mystérieuse entreprise propose à Abigail de se prêter à une expérience visant à empêcher la disparition des abeilles en contactant le passé.
Je ne vous en dirai pas plus sur le contexte, mais vous vous doutez bien que rien ne va se passer comme prévu ! Nous suivrons alternativement le parcours d’Aby de Dakar au Mexique en passant par Paris et celui d’Abigail dans les mers agitées de l’océan indien via Madagascar, un endroit où il ne faut surtout pas aller.
Le titre du roman et quelques passages oniriques nous orientent rapidement sur la finalité de ces deux destins à 146 ans d’écart : ils convergent ! Et toute l’habileté de Stéphane Pavanelli est de nous distiller cette convergence avec subtilité. On a beau se douter de ce qui va occasionner cette convergence, on ne découvre que progressivement comment cela va se produire, et ce qui va se produire ne nous est livré qu’à la fin.
C’est d’ailleurs l’un des facteurs qui accroche le lecteur à l’histoire : cette envie de savoir comment l’auteur va s’en tirer, en plus de frémir en se demandant si les héroïnes vont s’en tirer. On dira qu’il y a un mélange de suspens narratif et de suspens thématique qui nous entraîne sans effort d’un bout à l’autre du roman porté par une écriture fluide fort agréable.
Une autre qualité de ce roman concerne la véracité des personnages et des lieux. Les personnages sont crédibles, parfois complexes et inattendus, parfois entiers, mais sans tomber dans la caricature, parfois haïssables ou attachants. Les malheurs (à la résonance très actuelle pour certains) des héroïnes ne peuvent laisser indifférents et génèrent une empathie à laquelle le lecteur est sensible. La description des lieux, quant à elle, pourrait laisser croire que l’auteur s’est rendu dans les pays dont il parle. Si ce n’est pas le cas, on pourra lui reconnaître un travail de documentation dont il a su profiter : ses personnages s’y intègrent parfaitement sans que cela paraisse artificiel ou lourd.
Pour terminer, je vais décevoir les amateurs d’étiquette. Ce roman rentre-t-il dans le champ de la science-fiction ? On pourrait dire oui et s’arrêter là. Cependant, comme je l’ai dit au début, d’autres thématiques prennent place dans le cours de l’histoire : la romance (inhérente à toute aventure humaine), l’onirisme (avec des passages proches du chamanisme – point de vue personnel), le fantastique horrifique (le mot « zombie » est même prononcé… si, si !). Cette pluralité ne sera pas pour décevoir l’amateur de diversité.
Vous l’aurez compris : ce n’est pas un livre pour enfant, mais il réjouira l’amateur de « quêtes initiatiques » sans concessions.
Patrice Verry