Leslie Tanguy, professeur-documentaliste de son état, s’était aventurée dans le monde de la fantasy médiévale avec la série Kalis Rastell ; avec son diptyque Le parfum de l’impératrice, c’est plutôt du genre steampunk qu’elle puise son inspiration. Voilà comment se présente le premier tome, intitulé l’Archipel :
La Magnus Mar, montée des eaux dévastatrice née de l’affrontement des krakens contre les léviathans, n’a laissé aux survivants que quelques îles où s’installer. Le plus vaste de ces territoires est le luxuriant archipel, où le gouvernement impérial a instauré, au fil des siècles, des lois strictes.
Un jour, un concours de création de parfums visant à soulager l’esprit tourmenté de l’impératrice est organisé. Nimué, l’apprentie passionnée de la compagnie du thé, Lugen, le parfumeur taciturne, et Tydorel, l’exubérant affichiste, sont prêts à tout pour trouver la fleur légendaire qui leur permettrait de l’emporter. Même si cela implique de passer les frontières interdites par-delà les océans…
Le parfum de l’impératrice est un roman qui se déguste… comme une bonne tasse de thé.
La plume de Leslie Tanguy est sans doute l’une des plus grandes forces de ce premier tome. Sa richesse n’enlève rien à sa fluidité, les nombreuses descriptions qui parsèment le livre sont très plaisantes à découvrir. Fait assez rare en littérature (mais pas étonnant au vu des sujets du roman), une attention toute particulière est portée aux odeurs. De fait, l’immersion est à la fois originale et complète puisque l’on découvre l’Archipel et le monde au-delà non seulement grâce à notre vue, mais aussi grâce à notre nez. L’univers du thé et des parfums, au cœur de l’histoire, apporte une douceur bien appréciable à l’ensemble.
À noter également que ce premier tome est avant tout introductif. Ainsi, l’histoire de l’Archipel est passée à la loupe pour mettre en avant certains enjeux de l’intrigue. Pour la faire courte, l’empire né à la suite d’une catastrophe planétaire s’est replié sur lui-même : aucun contact avec le reste du monde, maintien de compagnies similaires aux corporations de l’Ancien Régime, toutes les mesures ont été prises pour garantir le maximum de sécurité et éviter un nouveau cataclysme. Néanmoins, cette position protectionniste a ses failles, et l’intrigue est un moyen de les mettre en lumière.
Nimué et ses compagnons enfreignent l’une des lois capitales en franchissant les frontières de l’Archipel ; cette transgression va forger d’autant plus le caractère déjà affirmé de notre compagnon-thé et renforcer les liens qui l’unissent à ses deux camarades. Lugen, le parfumeur taciturne tel que présenté (parfaitement) par le résumé, apprendra à sortir de sa coquille grâce aux différentes mésaventures qu’ils auront à affronter. L’évolution de Tydoren est moins flagrante puisqu’il demeure fidèle à lui-même du début à la fin, mais ça ne veut pas dire qu’il a été négligé pour autant : l’ensemble des personnages sont bien creusés, leur passé déterré pour expliquer pourquoi ils sont comme ils sont au moment du récit, et l’intrigue déroulée au travers de leurs différents points de vue, permettant de plonger dans leur tête l’espace d’un chapitre ou de quelques paragraphes.
Cette position omnisciente permet aussi de ne pas se focaliser sur une seule intrigue, mais sur deux : la deuxième n’est pas teasée par le résumé mais elle est tout aussi intéressante. Elle pointe du doigt une autre faille et met en lumière une menace pour le moment très floue. En même temps, il faut dire que ce premier tome ne répond à aucune de nos questions... D’aucuns pourraient même dire qu’il s’arrête pile au moment où les choses sérieuses commencent !
En résumé, le premier tome du Parfum de l’impératrice introduit un univers à la fois coloré et plein de senteurs, et campé très solidement grâce à l’attention portée à l’histoire de l’Archipel. Certes, le rythme peut sembler lent, mais ces précisions sont cruciales pour saisir toute l’ampleur de l’intrigue ; et puis, la plume magnifique de Leslie Tanguy prévient tout sentiment d’ennui. Nimué, ses compagnons et les autres personnages font l’objet d’un soin équivalent qui les rend tout de suite attachants. En ce sens, les abandonner à un moment aussi crucial de l’intrigue lorsque l’on tourne la dernière page peut paraître bien cruel…
Bénédicte Durand