La nuit du faune de Romain Lucazeau est un livre qui a secoué le monde de la littérature de science-fiction ces derniers mois. Entre ceux qui l’avaient lu et aimé, lu et pas aimé, pas lu, qui hésitaient à le lire, qui désiraient le lire mais en avaient peur, qui en avaient eu peur mais avaient sauté le pas et revenaient témoigner de l’expérience, ceux qui le comparaient à Latium (premier roman de l’auteur), ceux qui le comparaient aux plus grands livres de SF, ceux qui ne le comparaient à rien car le déclaraient incomparable, il y avait de quoi se perdre et de quoi surtout être intriguée.
Ce roman, paru chez Albin Michel Imaginaire en octobre 2021, a en effet de quoi intriguer. Récit de science-fiction qui ne rechigne pas sur le côté hard-science, conte philosophique, succession de dialogues didactiques… il n’est pas aisé de le classer.
Ancien élève de l’école normale supérieure de la rue de l’Ulm et agrégé de philosophie, Romain Lucazeau avait déjà surpris avec son premier roman Latium en deux tomes, publié chez Denöel et Grand Prix de l’Imaginaire 2017, un space opéra qui faisaient dialoguer des Intelligences Artificielles dans un monde où l’homme avait disparu.
Avec La nuit du faune, l’auteur nous parle cette fois d’un faune qui escalade une immense montagne, réputée pour abriter un dieu, et rencontre à son sommet Astrée, une petite fille qui est en réalité la dernière représentante de sa race, désormais éteinte, qui a pris l’apparence d’une enfant pour tenter d’en conserver à jamais la capacité d’émerveillement. Alors que le faune, qu’elle surnomme Polémas, lui demande de répondre à la question de sens de sa vie et le destin de son peuple, raison première de sa longue et aventureuse quête, Astrée propose un tout autre voyage, pour qu’il réalise la place, insignifiante et centrale, de notre planète dans l’univers et qu’il puisse ensuite décider comment mener sa vie. Commence alors un voyage à travers notre système solaire, puis galaxie, à la rencontre d’autres formes de vie et de civilisation, de leurs choix, déconvenues, et succès.
Le voyage est troublant et grisant. Les réflexions de Polémas accompagnent celles du lecteur, car il est le témoin dont les réactions sont les plus proches des nôtres, puisqu’il doit apprivoiser les concepts et échelles de temps et d’espace qu’Astrée nous fait traverser. Le sense of wonder se fait ressentir par petites touches, ou plutôt le sense of Sadness tant on finit par se sentir seuls et minuscules dans cet univers de géants. En effet, loin de la Terre, tout cela manque d’humanité, les civilisations deviennent abstraites, dans leur essor et défaite, on n’a plus le temps de voir le tissu de leurs vies, les membres qui les composent, ce qui nous fait partager d’autant la mélancolie de Polémas.
La force de roman, pour ma part, n’est pas d’aligner les thèmes de hard-science ou d’anticipation anthropologique, mais bien qu’il permet à chaque lecteur, par la diversité des échanges et des concepts, d’être touché par un point ou un autre du récit, de se laisser émouvoir par la quête impossible et si humaine d’Astrée, par une phrase, une crainte, murmurée entre deux bonds dans l’immensité de l’espace, d’emporter avec soi une de leurs expéreince, un de ces futurs possibles pour notre civilisation, juste parce que pour une raison étrange il nous semble être plus désirable, moins solitaire, que les autres exemples qui sont donnés.
Alors, comment finalement classer La nuit du faune passé la dernière page ? Je ne dirai pas que la lecture de ce roman est exigeante ou difficile, le travail de vulgarisation de l’auteur est remarquable. Mais il touchera chacun différemment, avec des passages sur lesquels on glisse, bercé par la répétition rencontres-voyages-rencontres-voyages, et d’autres sur lesquels notre esprit se trouble. Desquels on décroche des pépites qu’on garde en nous.
Un roman inclassable donc, un voyage qu’il faut tenter, assurément un monument de la SF française auquel les lecteurs voudront se mesurer, comme Polémas face à la montagne d’Astrée.
Audrey Pleynet