En 2020 les éditions du Belial ont récidivé leur pari osé en publiant le tome 2 intitulé Sept redditions du cycle Terra Ignota de Ada Palmer qui en comptera 4 au total.
En quelques mots : jamais la persévérance dans la lecture d’un tome 1 n’a eu une si belle récompense que ce tome 2 !
Nous retrouvons donc dans ce roman la société futuriste des Ruches où vous pouvez vous déplacer n’importe où sur le globe en moins de 2h et où les nations ont disparu au profit de groupement par valeurs, que les citoyens peuvent quitter s’ils en sont mécontents. Ce monde est en apparence une utopie de l’abondance et de l’égalité, qui s’est construite sur des grandes évolutions et avancées technologiques, présentées dans le tome 1 Trop semblable à l’éclair.
Dans Sept redditions, le narrateur Mycroft Canner continue son récit des événements politiques menant à l’effondrement de ce système.
Car dans ce second tome le vernis s’écaille et tous les personnages présentés dans le tome 1 tentent de sauver ce qui peut l’être de leur mode de vie alors que les scandales explosent les uns après les autres, prouvant que la paix ne peut pas aller de soi. Les réflexions politiques sont toujours nombreuses et passionnantes notamment autour de la question de la valeur de la paix et de l’utilité de la guerre, des sacrifices qu’on est prêt à faire pour l’avenir, et se teintent de philosophie et de métaphysique, puisqu’on s’interroge sur la nature même de la divinité (rien de moins).
L’influence du XVIIIe siècle français est toujours présente mais se révèle plus un outil politique dans les mains des protagonistes qu’une simple fantaisie de l’autrice.
Cette suite allie la grande qualité de répondre aux questions engendrées dans le tome 1 tout en éveillant son intérêt propre par de nouveaux rebondissements.
Ainsi toutes les pistes et questionnements du tome 1 s’éclairent et j’ai trouvé cette 2eme partie du récit de Ada Palmer extrêmement limpide et fluide.
Il faut reconnaître cependant que le mérite est partagé : d’une part, après la lecture du 1er tome Trop semblable à l’éclair, le lecteur s’est familiarisé avec le style de l’autrice, ses changements de style narratif, les dialogues non genrés. D’autre part, j’ai eu l’impression que son style était plus simple et classique que dans le tome 1, ce qui explique que la lecture gagne en aisance.
Le narrateur Mycroft Canner devient bien plus attachant et humain en révélant enfin ses motivations et son parcours. Certains passages sont d’une sensibilité extrême qui m’a touchée profondément, bien plus que l’érudition incroyable du texte. Deuil, passion, culpabilité, égoïsme, l’autrice, brillante sur de longs monologues, sait aussi en une phrase courte décrire avec une infinie justesse les plus complexes des émotions humaines.
Si je puis me permettre je relèverai tout de même certains écueils qui pourraient rebuter quelques lecteurs (à qui je conseille de persévérer 🙂 ) : la succession de dialogues sur des centaines de pages qui font presque penser à du théâtre classique où l’action passée ou en cours n’est pas montrée mais rapportée par d’autres ; des personnages aux allures de héros grecs, surpuissants, qui d’un battement de cil soumettent leurs ennemis, l’absence de nouveaux personnages dans ce tome 2 et même l’effacement de certains autres, pourtant très attachant.
Mais malgré cela ce tome 2 est une lecture lumineuse, intense et immensément riche. Je conseillerai pour l’apprécier pleinement de lire les interviews de l’autrice qui sont parues récemment. Un grand bravo également à Michelle Charrier, la traductrice, qui a fait un travail titanesque sur ce texte.
Les éditions du Belial continuent de nous gâter puisqu’elles ont publié en février 2021 le troisième tome intitulé La volonté de se battre, que je ne vais pas tarder à dévorer.
Audrey Pleynet