Digne successeur de Pratchett
Un jour, mon jeune frère vient me rendre visite dans mon antre, s’arrête devant ma Bibliothèque et, chose incongrue quand on le connaît, prend un livre en s’écriant : « il est trop bien celui-là » d’étonnement je m’arrête et le regarde, dubitatif, il poursuit : « mais si souviens-toi, je l’ai acheté aux Utopiales sur les conseils du libraire-auteur, lis le, c’est plus qu’un hommage à Pratchett, c’est son digne successeur. Sans compter l’influence très net du monde Troy ». Étonné par son conseil, je fis faire à cette œuvre, une translation vers le sommet de ma pile tout en ayant peur qu’elle ne subisse les effets pervers d’une comparaison avec mes précédentes lecture. Faut dire que passer après Somova, Belmas, Maugest et Del Soccorro, il faut avoir du niveau. Et bien je ne fus pas déçu, bien loin de là.
Le commencement
Le roman commence par le récit de la plus grande guerre universelle que tous les mondes ont connus et connaissent encore, à savoir la lutte du bien et du mal. Sauf que dans ce roman, c’est loin d’être une allégorie et le conflit opposant les démons aux anges, eut lieu, avec ces derniers comme vainqueurs. Les emplumés partirent laissant un démon survivant et un ange retardataire qui fit contre mauvaise fortune bon cœur et entreprit d’estourbir la vile engeance. Après l’avoir frappé presque mortellement, il le cloisonna dans la roche et par un sort. Le démon resterait à dormir jusqu’à ce que cent mille âmes vivent sur sa tête. Ceci fait, l’ange parti lui aussi, tenter de rattraper l’ost angélique et son divin dessein. « Et certaines choses qui n’auraient pas dû être oubliées furent perdues. L’histoire devint une légende. La légende devint un mythe. » Comme n’aurait pas mieux dit une célèbre voix off. Le temps à ceci de miraculeux qu’il fait oublier tout ou presque, et la vie repris son cour sur la terre d’airain. Trois grandes principautés émergèrent, se firent la guerre puis se réconcilièrent dans un accord qui donna naissance à une alliance au nom bien peu imaginatif ; la Trisalliance.
La prison de Karthaz
Comme toutes les civilisations, ces Etats ont leurs lots de gloire et de décadence. De héros et de truands. La logique inhérente à toutes sociétés médiévales, fussent-elles fantastiques, est que pour tous les repris de justice, la mort est bien souvent le sort. Seule change la façon fantasque d’aborder la chose. Dans ce monde, les inculpés sont expédiés dans une ville prison au doux nom de Karthaz. Si la sonorité vous parait familière, pas d’étonnement c’est fait exprès. Dans notre antiquité c’est Caton qui fit cette citation, mais dans le roman c’est un dénommé Maton l’ancien qui pousse ce cri déclencheur de bien des péripéties : Karthaz Delenda Est. Karthaz doit être détruite. L’idée est loin d’être folle. Réunir toute la lie des civilisations au même endroit, est sans aucun doute le meilleur moyen d’assembler les fomentateurs de révoltes. Sauf que voilà Karthaz a été bâtie sur le crâne du démon assoupie. Et faire venir l’armée n’est-il pas le meilleur moyen de l’éveiller ? Car au fond : « N'est pas mort ce qui à jamais dort et au long des ères étranges peut mourir même la Mort ». S’il n’y avait que ça, tout irait bien, ce ne serait un roman fantastique avec des anti-héros en personnages principaux et de fausses idoles du juste en antagonistes rébarbatifs. Sauf que voilà, ce n’est pas le cas et heureusement. Nous suivrons les pérégrinations de Dame carcasse dont l’égo surdimensionné lui permet de faire des merveilles, mis à part apprendre à ses apprentis. Phaïs, maitre forgeron et maréchal-ferrant de licorne. Sinus Maverick faux mage mais vrai escroc qui ne veut que sauver sa ville en tuant sa dirigeante. Et enfin Tenia Harsnik, dont l’amour parental l’a affublé du nom du ver solitaire. C’est la Tyranne de Karthaz qui dirige la ville dans la plus belle des dictatures positives, c’est-à-dire : le meurtre est récompensé mais la torture, elle, est châtiée. Nécessité fait loi dans cette ville, où le numérus clausus ne doit en aucun cas être dépassé, mais le plus beau tour de force, écrit comme un ultime défi à la vie, c’est que le plus insignifiant rouage de toutes les machinations, peut à lui seul briser l’ordre établi.
Audrey Alwett
Audrey Alwett est une autrice de tragi-comique. Le terme fait froid dans le dos à bon nombre de gens qui délaisse la littérature dite classique (et surtout son théâtre) mais le procédé qu’utilise, avec brio, Alwett est le même. Une ambiance sombre, un monde pessimiste et dystopique, des thèmes atroces, des situations où nécessité fait loi, des personnages qui n’ont rien d’héroïque ni même de gentil et qui réagissent voir subissent plus qu’ils n’agissent. Mais le tout décrit avec humour et désinvolture rendant les péripéties presque sympathiques. L’humour froid, noir et cynique n’a réellement rien à envier aux BDs d’Arleston ou au cycle du disque monde. D’ailleurs l’autrice ne cache pas son influence et son admiration envers le parangon de la Fantasy burlesque. Et dans une note en bas de page, ultime hommage à l’auteur platiste, elle nous indique le décès de ce grand homme.
Pierre-Marie Soncarrieu