Les héros mutualisés, tels le Poulpe ou Mickey, sont des êtres d’encre et de papier qui ne sont pas l’œuvre d’un seul auteur mais bien d’un groupe de créateurs. Répondant à des règles aussi strictes qu’un cahier des charges chez un artisan, les auteurs se doivent de respecter certaines obligations en décrivant les aventures desdits aventuriers. Vous l’aurez compris, notre personnage principal rentre dans cette catégorie.
Jean-Marc Ligny, s’étant improvisé maïeuticien, a réuni auprès de lui les ténors de la science-fiction écologique qui furent en leur temps les piliers de la regrettée Série Anticipation aux éditions Fleuve Noir. Et c’est ainsi que l’histoire aurait dû se passer, une épopée à plusieurs mains œuvrant ensemble pour un projet commun, chemin direct vers la célébrité, ou tout du moins vers la prise de conscience de notre société. Malheureusement l’idylle fut avortée avant d’avoir commencé et de la série, seul le premier tome fut sorti. C’est au couple Belmas qu’on le doit. Nouvelliste, anthologiste, ce couple, alliant les sciences et la littérature dans la vie comme dans l’écriture, avait tout pour être emballé par ce projet d’anticipation écologiste et humaniste, et a su retranscrire et faire partager ses idées. Vous l’aurez compris, c’est cette œuvre que je vais vous présenter.
Avant le XXIIIème siècle et pendant de nombreuses générations, l’humanité en a fait, des conneries. Jusque-là, rien de nouveau, il n’y a pas besoin d’être devin pour comprendre que si on continue sur notre lancée, on va se prendre un mur à un moment donné. Dans le roman, c’est ce qui s’est passé. Le XXIème siècle, portant le doux sobriquet de siècle noir, a été une période troublée remplie de guerres et de désespoir. Pour éviter de reproduire cette époque damnée, les rares survivants virent la nécessité de s’accorder sur une nouvelle façon de cohabiter. C’est ainsi que « l’Instance » vit le jour. Pour vous donner une référence, nous dirons simplement que le flegme anglais a eu le dessus sur toute autre forme de comportement. Les humains, de toutes les nations, se sont mis à envisager une seule démocratie, portée à son paroxysme, couvrant toutes les régions, où les hommes et femmes travailleraient au bien commun, projet situé équitablement entre démocratie, pacifisme et écologie. Cette ambition, fort louable, est finalement réalisée au vingt-troisième siècle. La nature a repris ses droits et l’Homme vit en symbiose avec la planète qui le nourrit, il n’y a presque plus de crime, plus de guerre et donc plus de nécessité de gens armés, qui ont su laisser leur place à une armée d’agriculteurs. Mais ça ne s’arrête pas là : l’ensemble de la population agit comme agence de renseignement. Forcément, dit comme ça, ça fait un point commun avec Big Brother, le dictateur en moins. Mais non, rappelez-vous, il n’y a pas que la surveillance dans le renseignement. La population renseigne le réseau de toutes les informations susceptibles d’améliorer la vie de tout un chacun : les bouchons de transports, les incidents, les accidents et même les évènements naturels, ponctuels, propres à donner du baume au cœur. A leur majorité, les individus se voient remettre un bracelet sommairement appelé « Unit » sorte de smartphone amélioré (les fans de Fallout et de son célèbre Pip-Boy seront aux anges) qui leur permet de se connecter à tout instant au réseau numérique, mais civique, de l’Instance. Les gens œuvrent et vivent dans une parfaite harmonie. Sauf que voilà, si on écrivait un roman juste sur ça, ce ne serait qu’une énième utopie bancale.
Dans notre monde anticipé, un meurtre a été commis. En temps normal, lorsque c’est le cas, l’Unit déclenche automatiquement un appel aux secours. Sauf que cette fois, rien de tout ne cela. Pire ; l’Unit a disparu. Forcément, les gens deviennent anxieux. Les autorités élues reconnaissent leur incapacité dans le domaine (c’est là où on sait qu’il s’agit d’un roman de SF) et appellent une enquêtrice. Le temps de son arrivée, trois autres crimes se sont déroulés. Même modus operandi, même incapacité des autorités. Nous faisons donc la rencontre avec Lyla, l’investigatrice. Elle ne vient pas dans la région du meurtre de bon cœur. Il faut dire, comme nous l’apprennent les auteurs, que la région où se déroule l’histoire, contient une merveille naturelle, au passé bien peu merveilleux : l’Orri, l’une des plus grandes montagnes de ce monde, mais dont sa spécificité en a fait l’endroit rêvé pour contenir les laboratoires d’expérimentation et de production des armes biochimiques du siècle noir. Cet héritage agit de manière insidieuse sur toute la population qui vit dans son ombre et cause les tensions, qui sont peut-être la raison des meurtres en série. Sitôt arrivée, sitôt mise au fait de la situation, Lyla se voit adjoindre une assistante native de la région. Elle décide de se rendre sur les différents lieux des meurtres pour se faire son opinion indépendamment des dossiers déjà préparés. Nous la suivrons donc dans son investigation où l’adage que nous connaissons si bien est de mise : « L’enfer est toujours pavé de bonnes intentions ».
Pierre-Marie Soncarrieu