Vous qui avez été bercés, et qui, bien des années plus tard, avaient bercé vos enfants ou petits enfants par des contes, qu’ils soient de Perrault, de Grimm, d’Anderson ou juste de mon moulin, ce roman n’est pas fait pour vous. Les contes traditionnels commencent toujours par “il était une fois”, “il y a fort longtemps”, ou “dans un pays lointain”. Celui-là commence la nuit, celui-là commence dans une forêt sombre, opaque, mystérieuse. Je ne suis pas sûr qu’on puisse appeler cette histoire “un conte”. Un conte, c’est un récit moralisateur, qui cherche à enseigner quelque chose, à nous apprendre la vie. L’œuvre dont je vous parlais ne ressemble au conte que sur le dernier point. Il n’a pas d’autres caractéristiques flagrantes que de raconter une histoire merveilleuse, fantastique, en un mot de nous faire rêver. En tout cas, ce fut ce qu’il m’apporta.
Nous commençons donc notre histoire en suivant un personnage appelé Ombre. C’est un adolescent de la tribu des ailes d’argents, plutôt chétif, pas très adroit et compensant ses lacunes physiques par une vivacité d’esprit et une curiosité insatiables. À ce stade de la chronique, vous aurez en tête l’archétype de l’ado banal à qui il va arriver pleins d’aventures extraordinaires au travers d’une quête initiatique qui va le faire entrer au Panthéon des héros malgré
eux. Pas très intéressant je vous l’accorde. Ce qui fait l’intérêt de notre héros, et du roman à travers lui, c’est que notre personnage principal est une chauve-souris.
Là, tout de suite, j’espère avoir piqué votre curiosité. Ombre vole la nuit, chasse la nuit, relativement normal pour une chauve-souris. Et cette nuit, la nuit du premier chapitre, une nuit qui commence comme toutes les autres pour notre chauve-souris est celle qui va bouleverser son destin. Il chasse un papillon nocturne mais échoue, Chinook, autre jeune de la colonie, et total opposé de notre héros, le prive d’une seconde chance et d’une possible victoire.
Les deux compétiteurs vont se poser sur une branche et Ombre subit d’humiliantes moqueries pour cette défaite.
C’est cette humiliation qui va déclencher l’histoire. Car pour prouver aux autres ce dont il est capable, il décide d’enfreindre la plus vieille règle du monde des chauves-souris et de regarder le soleil.
La loi de la nature dit que si une chauve-souris voit le soleil, elle mérite la mort, de la part des gardiens de nuit : hiboux, chouettes, ou tout autre volatile nocturne. Ou de la part des gardiens du jour : les rapaces. Fort heureusement pour Ombre, sa mère est prévenue de son défi par Chinook et vient le chercher juste à temps pour le
ramener à la pouponnière alors que l’aurore arrive. Durant le trajet du retour, pour aller plus vite, Ombre choisit de voler au-dessus des arbres et non sous la futaie. Mais la faute a été commise. Ombre et sa mère doivent passer en jugement devant le conseil des sages, les cinq plus vieilles de la colonie présidé par Frieda figure mystérieuse et immortelle de la colonie.
Comme il n’y a pas de répercussions à cette infraction, la sanction se résume à quelques réprobations. Mais le plus important c’est que les sages font référence au père d’Ombre. À la suite de cette séance terrifiante pour Ombre, le duo mère-fils redescend auprès de la colonie et part s’installer pour dormir.
À son réveil, Ombre se découvre seul. Le temps de bien émerger, Frieda vint s’accrocher près de lui, sous le prétexte de lui parler de son père, elle l’emmène dans les profondeurs de la colonie, et lui fait découvrir la chambre aux échos. Véritable sanctuaire de toute la tradition orale de la colonie, cet endroit est un lieu où toutes les légendes se répercutent en écho. Là, Ombre entend une ancienne prophétie, une prophétie qui parle de la victoire d’une chauve-souris, et par cette victoire, toutes les chauves-souris auraient du nouveau droit de voir le soleil et de vivre le jour.
Suite à cette découverte pour Ombre, on vint chercher la vénérable: les chouettes sont aux portes de la colonie et ce n’est pas une visite de courtoisie.
Silverwing est, vous l’aurez compris, un texte écrit à la première personne qui vous fait voyager dans la peau d’un de ces petits mammifères nocturnes que sont les chauves-souris. Au travers de cette quête initiatique, de la recherche d’une figure paternelle disparue, Kenneth Oppel nous renvoie à la vision d’un monde civilisé vu au travers du regard d’un animal sauvage. La civilisation humaine, la nature, qu’elle soit végétale ou animale, toutes choses qui pour nous
semblent sues, connues, comprises deviennent totalement étranges car nous n’avons plus la même perception. L’échelle des proportions, bien que respectée, nous étourdit car tout semble gigantesque. C’est aussi la grande force de ce texte : faire de quelque chose de banal un voyage merveilleux.
PIERRE MARIE SONCARRIEU