Katia Lanero Zamora, autrice belge, diplômée d’un master de communication en métiers du livre, conjugue depuis plusieurs années son travail dans l’édition à celui d’autrice. D’abord orientée vers l’écriture jeunesse et jeunes adultes, sa dernière production littéraire s’adresse davantage à un public adulte et s’inscrit dans une vision littéraire affirmée. Re : Start est une novela faisant partie de la collection Récifs des éditions Argyll composée uniquement d’autrices. Cet écrit aborde en terme principal le culte de la beauté sous le prisme de la science-fiction et de l’horreur.
Lors de notre lecture, Mona sera notre investigatrice. Véritable enquêtrice, elle cherchera à sauver son amie, à élucider un drame personnel tout en essayant de ne pas se perdre elle-même dans le double jeu qu’elle aura créé. C’est à travers son regard que nous aussi, lecteur.ices, nous serons plongé.es dans le programme Re : Start. De ce fait, le genre de ce texte oscille entre une enquête policière et le documentaire d’un fait de société. Bien que Mona soit identifiée comme personnage principale, il n’y a pour autant pas d’héroïne. Nous suivons l’histoire de plusieurs femmes : Mona, Calliste, Geneviève, Ana-Maria, et tant d’autres qui se retrouveront, comme elles, dévorées par l’envie d’atteindre un idéal, ou de s’en libérer.
Nous nous retrouvons immergé.es au cœur d’une société où l’on façonne l’estime des femmes autour d’un idéal de beauté inatteignable. Geneviève, la fondatrice de Re : Start décide d’en faire plus qu’un mode de vie mais une quête insatiable dont elle tiendra les chaines. Elle fonde autour d’elle une communauté aux dérives sectaires dont elle en sera la déesse. Un empire qui reprend les codes d’une société consumériste, productiviste, méritocratique où atteindre l’objectif ultime devient une lutte : être la plus belle d’entre toutes. L’autrice y transpose les dynamiques et les dictâtes de notre propre société. Les vices de cette dernière sont poussés à leurs paroxysmes et Katia Lanero Zamora joue savamment avec les codes de l’horreur en étayant sa narration autour d’un mélange vicieux entre patriarcat et sororité.
Les questions de santé mentale sont de ce fait inhérentes au récit. Pour les personnages, les limites entre son propre corps et le corps de l’autre deviennent poreuses, confuses. L’autrice dépeint avec justesse les mécanismes psychiques propres aux troubles du comportement alimentaire. Elle y aborde le besoin de restriction, d’autopunition, de dépréciation de soi, de souffrance et de jouissance de cet hyper contrôle. Dans ce texte, l’objet-aliment est évincé au profit de gélule coupe faim, le plaisir remplacé par la jouissance, le besoin vital de se nourrir n’est que secondaire au besoin d’être l’élue. La nécessité de compétition induit par le programme Re : Start et le besoin viscéral de coller à un idéal fantasmé les mènent jusqu’au délire et au cannibalisme.
La notion de toute-puissance monte progressivement jusqu’à son climax, illustrée par la psychose collective. Dans un délire d’autosuffisance, manger son propre corps permet de combler la sensation physique de vide dans un élan de dégout de soi. Au cours de rituels où s’expriment un sentiment de dépersonnalisation, le corps de l’autre doit être manger pour le faire disparaitre et s’approprier ses qualités esthétiques.
Aux prémices de la vie humaine, le regard de l’autre est notre première rencontre avec un autre différent de nous mais également avec nous-mêmes car le petit-être se perçoit à travers ses yeux. Ce regard posé sur lui sait être source d’épanouissement, de reconnaissance, d’existence. Dans ce texte, au cœur d’une société où la valeur d’une femme est uniquement mesurée sur une échelle standardisée de la beauté, engloutir l’autre pour le faire disparaitre et ne pas être soumis à son regard est plus supportable.
Ce qui nous amène à une horde de questionnements féministes interrogeant notre rapport au corps, à notre identité, à notre intégration dans la société. Quel regard devons-nous satisfaire ?
Depuis peu, les débats autour de l’intelligence artificielle s’intensifient. Les égéries de mode, fantasmes lointains mais inscrits dans la réalité, sur lesquels les magazines dictaient aux femmes les dernières tendances, commencent à être remplacés par des « modèles générés par IA », une beauté normée et illusoire à laquelle la société nous invite encore à nous comparer et à prendre en exemple. Une nouvelle voie à l’hyper sexualisation et aux illusions qui se voudraient sans limite.
Pour finir, Re : Start est un livre engagé et très actuel où la frontière entre science-fiction et réalité semble dramatiquement ténue et qui met en avant une dérive sectaire qui pourrait ressembler aux faits d’hiver de demain.
Jeanne-Marie Orliaguet