L’épée des châtiments

Une nouvelle de Marine Martin
(concours de nouvelles 2024 - BTS édition)


« Personne n’est plus arrogant envers les femmes, plus agressif ou méprisant, qu’un homme inquiet pour sa virilité. »

Simone de Beauvoir


Afin de mieux comprendre l’époque de ma nouvelle, je me permets de faire un rappel du contexte historique. Nous nous trouvons dans les années 1643-1644, durant la régence de Catherine de Médicis, avant le règne de Louis XIV. À ces dates, de nouvelles lois sont mises en place, y compris une qui concerne l’augmentation des impôts due au coût de la guerre qui a lieu entre la France et l’Espagne. À la suite de cette décision, certains nobles se révoltent. C’est ce que l’on appellera les Frondes. C’est dans cet environnement que vont évoluer mes personnages.

 

Bonne lecture !


 

 

 

Paris, le 14 janvier 1644

 

Ça y est, c’est le grand jour, celui où je vais montrer qu’une femme sait manier l’épée.

 

Ce matin, je me suis réveillée sereine, cela fait deux semaines que je m’entraîne sans relâche avec père. Il m’a appris sa « botte secrète », comme il aime à le dire : il s’agit de mêler le maniement de l’épée et la ruse.

Je me dirige vers ma chambre pour m’apprêter, mes pas sont lourds de nostalgie. Je n’ai pas vu Irène depuis un mois, sa présence me manque ainsi que nos moments passés ensemble.

Avec Irène, tout est facile, nous n’avons pas besoin de parler pour nous comprendre, un regard suffit. Cette complicité, on la doit à sa mère Geneviève, qui nous a élevées toutes les deux et fait de nous des sœurs. Petites, il nous arrivait de nous chamailler, comme tous les enfants finalement, mais chaque dispute se transformait en câlin de réconciliation. Nous avons toujours réussi à trouver un bon équilibre et à construire une amitié saine, l’une étant éternellement présente pour l’autre.

Avant qu’elle ne disparaisse, elle m’avait pourtant avertie qu’il y avait des enlèvements lors de certains bals. Simplement, je ne pensais pas qu’elle serait la prochaine sur la liste.

 

*

 

Un mois plus tôt (10 décembre 1643)

 

Pour cette soirée, Irène m’a préparé ma fameuse robe cintrée, dorée, composée de trois nœuds au centre, de fleurs rouges brodées sur le reste du tissu et de légers ornements en dentelle. C’est une des préférées de père que je porte très rarement, même si père me trouve gracieuse en toutes circonstances. Je demande à Irène d’embellir mes longues ondulations brunes tandis que je mets en valeur mes iris verts ainsi que mes taches de rousseur. J’ai toujours aimé prendre part à ma préparation, laisser Irène s’occuper de l’intégralité me met dans l’embarras. J’aime, malgré mon statut, me débrouiller seule sans que l’on me serve tout sur un plateau d’argent.

La fête de ce soir se déroule dans notre demeure fastueuse, notre famille est très réputée pour organiser d’excellents évènements festifs qui comblent de joie tous nos invités. Nous les accueillons dans notre immense hall de bal où un orchestre joue les meilleurs morceaux du répertoire. C’est une pièce décorée avec soin, chaque bouquet de fleurs est soigneusement positionné afin de mettre en avant les nombreux tableaux de maître que nous possédons. Elle est également très chaleureuse grâce à la lumière qui émane des lustres à pampilles. Les aliments présents lors des festivités sont des mets d’une grande qualité qui rendent chaque repas somptueux. Aujourd’hui, nous célébrons le succès du commerce de père qui ne cesse de croître, il possède divers marais salants et vient d’en acquérir un supplémentaire. Père est l’unique personne à avoir investi dans ce domaine et les habitants le remercient chaque jour pour leur permettre de se fournir ce condiment. Il.

Il y a perpétuellement une centaine d’invités à chaque rassemblement, père est évidemment ravi, en principe je le suis également, hormis ces derniers temps. Irène m’a informée à de nombreuses reprises et au terme de diverses festivités qu’il y avait des disparitions étranges de ses consœurs. Il n’est pas rare que de jeunes femmes servant une famille rencontrent de jeunes hommes séduisants d’autres maisons et souhaitent repartir avec eux, pour certaines domestiques cela fait partie de la vie. Néanmoins, je ne suis pas à l’aise ce soir et cela s’amplifie en voyant ma servante se précipiter vers moi :

— Madame Héloïse, les nouvelles ne sont pas bonnes… La servante de la famille Castel est introuvable depuis une heure, je m’inquiète de plus en plus. Qu’est-ce qui se manigance en ce moment ?

— Je ne sais pas Irène mais sois prudente. Ne reste jamais seule, je vais essayer d’obtenir des informations.

— Mais nous en sommes déjà à la huitième domestique ! s’exclame Irène.

— Ça ne me dit rien qui vaille en effet, renseigne-toi de ton côté, je vais faire de mon mieux.

 

Une fois Irène repartie je décide d’aller prendre un peu l’air, huit servantes disparues ça commence à faire beaucoup, et surtout comment se fait-il que personne ne s’en aperçoive ? Je reste perplexe et j’ai peur. Quelle personne serait suffisamment malsaine pour enlever de jeunes servantes ? Et surtout pour en faire quoi ?

Je décide de repousser mes questionnements au lendemain et de profiter du bal qui a l’air de se dérouler à merveille. De là où je suis, je peux distinguer les rires de père et ressentir son enthousiasme lorsqu’il aborde divers sujets. Il sent mon regard posé sur lui et me regarde en souriant à pleines dents.

Je me dirige vers le hall pour aller saluer les nouveaux invités qui arrivent par poignées. J’en profite pour prendre un verre de vin et quelques amuse-bouches au passage, qui sont un régal.

En me dirigeant vers les latrines, je surprends une conversation de voix majoritairement masculines, dans une chambre inoccupée. Je me fige et tente d’écouter ce qu’il se dit en me cachant dans un renfoncement du couloir. La porte est entrebâillée et malheureusement je n’entends que des bribes de conversations, mais je crois comprendre les mots « plaisirs », « secret » et « femmes ». Soudain, je le perçois, ce mauvais pressentiment que je ressens au plus profond de ma poitrine. Je n’ai pas vu Irène depuis plus d’une heure et je commence à paniquer, est-ce que je me fais des idées ? Non, je ne crois pas, même si elle reste principalement aux fourneaux, elle vient régulièrement me voir lorsqu’elle dépose un plat. Je commence à suffoquer dans cet espace, les voix se rapprochent, je les entends mieux mais cela signifie qu’ils vont bientôt sortir de la pièce. Je me prépare à courir mais c’est à cet instant que j’entends l’information qui me manquait : « À demain donc, au 6 rue des Victuailles, nous allons bien nous divertir ! », suivie de rires gras.

Écœurée, je me précipite vers ma destination première et dans mon élan je percute le premier homme qui sort de la chambre. Il est grand, brun et a le regard brumeux mais perçant, il doit être un peu saoul. Il est tout vêtu de noir et a l’air d’appartenir à une famille aisée. Je m’excuse et m’éclipse. Lorsque je marche dans ce couloir sombre, je sens son regard dans mon dos et un frisson me parcourt.

 

Une fois mes besoins assouvis, je tente de reprendre mes esprits et me dirige vers le grand salon. Mon instinct me guide vers père, afin de lui confier les bruits de couloirs que j’ai surpris, j’ai la sensation qu’il pourra me soutenir et m’aider. En arrivant devant lui je remarque qu’il est accompagné, j’attends alors qu’il termine pour ne pas interférer avec ses interlocuteurs. Père s’aperçoit de ma présence et, avec un coup d’œil, me donne la parole :

— Père, j’ai à vous parler, lui dis-je.

Il met fin à la conversation, s’approche de moi et me regarde d’un air grave. Est-ce que lui aussi a entendu ces horreurs ? Qu’est-ce qui peut le rendre dans cet état ? Lui qui était si enjoué.

— Oui ma fille, m’apportes-tu de bonnes nouvelles ?

Sa question ne présage rien de bon, j’ai vu juste dans son expression et cela m’alarme davantage.

— J’ai bien peur que non ! J’ai surpris une discussion dans la chambre près des latrines. Des hommes prévoyaient de se retrouver à une adresse pour s’abandonner aux plaisirs charnels. Ce n’est que mon interprétation mais cela fait sens père vous ne trouvez pas ? Je suis persuadée qu’il se passe des affaires malsaines, cela expliquerait les enlèvements qu’Irène nous a confiés !

— Ma chère, je suis au regret de te dire que je te crois. Une domestique vient de me demander si j’avais vu Irène, je n’ai pas su lui répondre. Je crois que la malédiction a frappé notre femme de chambre…

À ces mots, mon cœur s’arrêta. Mon appréhension était donc bien réelle, je n’aurais malheureusement pas l’occasion d’échanger avec elle des atrocités qui se déroulent, Irène a disparu.

 

*

 

Le lendemain, je suis déterminée plus que jamais. Après avoir passé une nuit atroce à me remémorer les propos que j’ai entendus hier, je suis maintenant sûre que de jeunes femmes innocentes sont enlevées dans l’unique but de satisfaire les envies des hommes. Cela me donne des haut-le-cœur, je ne peux pas imaginer l’enfer qu’elles vivent aux mains de ces malfaisants, et surtout je pense à Irène, j’espère qu’elle me pardonnera de ne pas avoir pris ces enlèvements au sérieux plus tôt.

Je décide donc de prendre les choses en main et de rédiger une missive à l’attention de la personne qui occupe le logement à l’adresse évoquée la veille. Certes, je prends des risques, les hommes n’aiment pas que les femmes leur fassent des reproches ou qu’elles s’immiscent dans leurs affaires, mais je ne peux pas les laisser faire ce qu’ils veulent sans représailles. Je trempe ma plume dans mon encrier et me laisse transporter par mes mots et ma colère :

À l’attention du résident,

J’ai appris à mes dépens les cachoteries que vous menez dans votre supposée maison close. Mais sachez une chose : je ne tolère pas que ce type de comportements aient lieu dans mon village et surtout que des domestiques en payent les conséquences.

J’ai découvert votre pot aux roses et si vous voulez que cela ne soit pas diffusé à la population je vous propose un duel à la loyale pour régler nos différends.

J’attends une réponse de votre part, ainsi que la date et le lieu de cet affront. Serez-vous à la hauteur ?

 

Une fois ma rédaction terminée, je n’appose pas de signature et scelle mon courrier avec un cachet. L’objectif est qu’il pense que je suis un homme, s’il a suffisamment d’égo, ce que j’imagine sincèrement, il relèvera le défi et je pourrai rétablir la justice auprès de mes semblables, les femmes.

 

*

 

Huit jours plus tard, en me promenant dans la ville, j’aperçois une nouvelle affiche sur le panneau de la Grande Place. Je m’approche de plus près et y lis les mots suivants : À la personne qui m’a provoqué via sa plume, je souhaite l’affronter ici même, le 14 janvier 1644. Qu’on ne s’avise plus de me menacer de la sorte, je serai intransigeant.

C’est concis et rempli d’orgueil, je n’en attendais pas moins d’un homme dans son genre. J’ai maintenant une échéance et je vais m’entraîner inlassablement jusqu’à être satisfaite et irréprochable. Je veux gagner ce combat, je veux l’humilier et surtout je veux montrer à la gent féminine que nous sommes libres et que les hommes n’ont pas à avoir d’emprise sur nous.

Je suis impatiente et je ne peux compter seulement sur moi-même et mes compétences. Même si cela fait bien longtemps que je suis prête.

 

*

 

Onze ans et demi plus tôt (20 juillet 1632)

 

En ce beau jour ensoleillé, père m’avait proposé de m’initier au combat, il était tellement exalté que s’il avait pu me transmettre ses compétences dès mes premiers pas il l’aurait fait. Je venais à peine de souffler ma sixième bougie qu’il m’attendait de pied ferme dans le jardin avec deux bâtons faiblement aiguisés. Je ne le cache pas j’avais également hâte, père m’avait vanté tant de fois les exploits de mère et son passé de mercenaire que je n’avais qu’une envie : suivre leurs traces.

Père se plaça en face de moi et adopta sa posture de combattant. Je me souviendrais toujours de mon regard ce jour-là, j’étais émerveillée. Je voyais père écarter légèrement ses pieds, son pied gauche dans ma direction tandis que l’autre était en arrière et tourné vers l’extérieur. Quant à son buste, il était relativement droit et en avant.

Père pointa son bâton vers moi et m’incita à reproduire sa position. Je me souviendrais toujours de la douleur que j’ai ressentie dans ma cheville ce jour-là. Ce n’était que le début et père m’encouragea à poursuivre en me promettant que je n’aurais plus mal à force d’entraînement.

 

En essayant tant bien que mal de placer mes pieds, j’avais fini par trébucher et m’écrouler sur l’herbe. À cet instant, je me disais que je n’y arriverais jamais, ce n’était pas pour moi. Avec l’épuisement de l’entraînement, je me mis à pleurer de frustration, je ne me sentais pas à la hauteur. Au même moment, la main réconfortante de père se posa sur mon épaule.

— Ma Héloïse, tu es une guerrière née, je le sais et je crois en toi, tu en es capable. On va reprendre ensemble, d’accord ?

À ces mots, je hochais la tête et me relevais d’un coup décidé. Au loin, j’apercevais Irène à la fenêtre de la cuisine me faisant un clin d’œil afin de me redonner confiance. Elle était omniprésente dans mon quotidien pour me remonter le moral et être un soutien émotionnel. Père me pris dans ses bras, m’embrassa le haut du front et me demanda :

— On laisse tomber pour aujourd’hui ?

— Non ! Je suis prête ! lui avais-je répondu sur un ton déterminant.

— Parfait, tu vas commencer par écarter tes pieds, le gauche, tu le pointes vers moi, tu fléchis un peu tes genoux, tu mets ensuite le second en arrière. Une fois que tu es bien stable, tu tournes doucement ton pied droit vers l’écurie et c’est gagné !

 

J’écoutais attentivement les consignes de père que je reproduisais au fur et à mesure. J’avais failli à plusieurs reprises mais j’avais fini par réussir. J’étais si fière de moi que je m’étais promis de ne jamais baisser les bras dans le futur. Père aussi l’était et le reste de la journée nous nous étions entraînés à nous donner de brefs coups en revenant à la position de départ.

 

Depuis cette première initiation, je n’ai jamais délaissé mon bâton-épée et j’ai continué d’apprendre avec père sans répit, c’était nos moments à tous les deux. Père m’a toujours poussé dans mes retranchements lorsque je voulais lâcher les armes. Il me répétait à maintes reprises cette phrase : « Bats-toi non seulement pour toi, mais aussi pour celles qui n’ont pas la force de le faire, tu sais dans ce monde rare sont ceux qui te voudront du mal ».

Il avait déjà tellement raison.

Sans lui, je n’aurais pas grandi de la même façon, je n’aurais pas confiance en moi et je ne serais pas aussi indépendante. Il m’a tout appris et c’est mon pilier pour la vie.

 

*

 

Aujourd’hui (14 janvier 1644)

 

Une fois arrivée devant ma commode, je réfléchis judicieusement au choix de ma tenue. Il faut qu’elle soit assez confortable pour que je puisse exercer l’intégralité des mouvements mais aussi protectrice pour ne pas me blesser. J’ai également l’intention de ne pas paraître menaçante aux yeux de mon adversaire, de cette façon il baissera sa garde et j’aurais l’avantage.

Je choisis de porter une robe ordinaire, agrémentée d’un corset en cuir très résistant aux coups d’épée, ainsi que des manchettes de la même matière. À l’intérieur du corset se trouvent deux petites fentes où je peux glisser des lames en cas de désarmement. En guise de ceinture, je décide de bien serrer mon fourreau afin d’y glisser mon épée. Pour finir, je chausse mes cuissardes très souples et adaptées aux combats. Dans cette tenue, je me sens à ma place, prête à rétablir la justice et surtout remporter ce combat face à mon adversaire.

Je n’ai pas peur, mais j’ai un énorme poids sur mes épaules. Je n’ai pas envie de décevoir père et je veux plus que tout au monde sauver toutes ces femmes qui n’ont rien demandé.

 

Me voilà arrivée au point de rencontre, je descends de la chaise à bras qui m’a amenée jusqu’ici et je prends une grande inspiration. Ne pas faiblir, bientôt père sera à mes côtés.

Je me positionne à l’endroit qui m’est attribué puis j’attends mon ennemi. Il arrive sur son cheval à fière allure puis descend de ce dernier en s’approchant de moi. De là où je suis, je peux discerner son air mesquin, condescendant et l’égo qui émane de sa personne. C’est simple, il me répugne.

Une fois qu’il est devant moi, je me permets de le scruter davantage. À son faciès, j’estime qu’il doit avoir entre 35 et 40 ans, il est tout de même très musclé et athlétique, mais cela ne m’effraie guère. Il est relativement grand, a des cheveux courts noirs avec des boucles qui viennent sur son visage, son regard est sombre et il a un sourire narquois. Je le déteste déjà.

Il porte un gambison noir qui remonte jusqu’à son cou sous forme de col, ainsi que des bottes en cuir noir. Au premier abord, on pourrait le trouver séduisant, je l’accorde, mais de tout son être émane la perversion.

Un coup de sifflet retentit, annonçant le début du combat. Je me positionne, visualise mes meilleurs coups et étire mes muscles. Quant à lui, il reste stoïque, les bras ballants à m’observer et d’un coup je le vois sourire. Il me provoque des frissons, j’ai comme l’impression de l’avoir déjà vu… Peu importe, je suis prête !

L’affront débute sans tarder, l’homme s’avance vers moi avec entrain et brandit son épée avec ferveur vers mon flan, malheureusement pour lui, je le pare aussitôt. Il a hâte d’en finir, il me croit faible, quelle erreur ! Il revient à la charge presque immédiatement et nous échangeons plusieurs coups que je contre avec aisance. Et malgré toutes ses tentatives, je prends l’avantage. Il se bat avec précipitation pour en finir, ses mouvements sont brusques tandis que je suis calme, me mouvant de manière fluide et rapide. Quasiment, tous ses coups sont prévisibles et je les pare tous avec une grande facilité. Cela le rend de plus en plus agressif et impétueux, mais il perd en précision et me laisse le champ libre pour le blesser. Des lambeaux de tissus tombent sous mes coups laissant des morceaux de peaux apparents que je ne manque pas de toucher. Même légères, de simples entailles bien placées peuvent ébranler le plus redoutable des guerriers.

Et cela se fait ressentir, il commence à fatiguer sous le coup de ses blessures, qui continuent de croître de par sa maladresse. Il ne m’est même plus nécessaire d’attendre qu’il attaque pour lui infliger d’autres meurtrissures. Suite à un énième coup de ma part, il trébuche et manque de choir contre un baril laissé par les marchands présents la veille. En cherchant à retrouver sa stabilité, je saisis l’occasion de lui asséner un coup colossal, lui causant une longue balafre partant de sa pommette gauche et se prolongeant jusqu’à sa pomme d’Adam.

Je vois dans son regard qu’il a compris, c’en est fini pour lui. Il fait un signe de tête à ses deux accompagnateurs, j’essaie de déchiffrer ce qu’ils peuvent se dire, mais je ne saisis pas. Soudain, je perçois dix femmes bâillonnées par un linge et je repère immédiatement Irène, elle a l’air tellement abattue et affaiblie. Ses associés les positionnent en ligne, face à moi, de manière à ce que je sois témoin de leur détresse dans leurs yeux, je suis très bouleversée. Mais je garde la face, s’il croit que cela va me déstabiliser il se trompe, je suis encore plus déterminée à le vaincre.

Je lui assène un coup avec hargne qu’il évite de justesse, nous en échangeons plusieurs encore, lorsque je vois père arriver au loin. Il reste relativement discret pour que personne ne le remarque. Nos yeux se croisent et nous n’avons pas besoin de mots pour nous comprendre. Il dégaine son épée, s’élance vers l’un des associés et lui transperce l’estomac, l’homme s’effondre au sol dans une mare de sang. Dans ce même laps de temps, j’en profite pour inverser nos positions afin de me retrouver plus proche des femmes et me dirige avec élan, en même temps que père, vers le deuxième homme et lui tranche la jugulaire.

Nous avons été tellement rapides que mon adversaire n’a rien vu venir, je m’oriente vers lui et décide que c’est le moment ou jamais pour exécuter le fameux coup que père m’a appris récemment. Je marche dans sa direction et lâche mon épée au sol sous ses yeux ébahis :

— C’est l’heure où la donzelle baisse les armes ! s’écrit-il.

— Jamais ! Vous ne me connaissez guère !

 

J’apprécie la vision que j’ai de son visage en train de se décomposer face à ma manœuvre inattendue. Il est en incompréhension et cela est un atout pour moi, je le vois hésiter dans ses mouvements. J’avance plus rapidement, je prends mon élan pour lui envoyer ma botte dans son coude dans le but de le désarmer, son épée tombe au sol et je l’envoie loin de lui. Je récupère ensuite mes lames que j’avais glissées dans mon corset et en plante une légèrement dans son pectoral gauche. Mon but n’est pas de le tuer, je veux des explications. Je récupère ma lame par sécurité, et avec la pointe de mon pied appuie sur sa blessure fraîche pour l’affaiblir davantage et le précipiter au sol.

Il rampe sur le dos et étale son sang sur les pavés, il tente de se maintenir sur son coude intact pour se protéger avec son autre main. C’est à cet instant que je sais que j’ai gagné, il a peur de moi, d’une femme.

Je le menace avec une lame et lui pose mon ultimatum tant attendu :

— Donnez-moi une bonne raison de ne pas vous tuer.

— Je suis innoc…

— Cessez vos mensonges immédiatement et dites-moi la vérité !

— Je manquais d’argent, vous comprenez avec l’augmentation des impôts ma famille peut moins subvenir aux besoins quotidiens, se justifie-t-il.

— Rappelez-moi, à quelle famille appartenez-vous ?

— Les Dampierre bien évidemment, vous ne me reconnaissez donc guère ? Je suis Lothaire Dampierre, l’aîné de la génération, j’ai en ma possession plusieurs bâtisses qui contiennent des commerces.

— Évidemment, j’aurais dû m’en douter, qui de mieux que vous pour tapisser un « commerce » illégal ! Vous savez que vous avez fait souffrir ces femmes et qu’elles seront détruites toute leur vie ?

— Je vous en prie, ne me tuez pas !, me supplia-t-il.

— Qu’est-ce qui me garantit que vous n’allez pas recommencer ?

— J’admets avoir reçu une bonne leçon, je veux encore vivre, s’il vous plaît.

 

Ma première intention était de le faire disparaître, mais finalement je m’interroge sur son sort. Ses explications ne m’ont pas convaincue, loin de là, de toute manière je ne suis prête à accepter aucune excuse pour ce type de comportement. L’option de l’enfermer un certain temps se pose à moi, je me dis qu’être emprisonné pour réfléchir à ses actes est la pire punition. C’est une décision difficile, car j’ai besoin que justice soit faite mais je sais que ce n’est pas la priorité du royaume. La régente à des préoccupations plus urgentes. Je m’accorde avec père sur ce point et nous jugeons ensemble qu’il est nécessaire de l’enfermer dans un endroit approprié. Père s’en charge et de mon côté, je décide de prendre un moment avec toutes les femmes pour les écouter et être présente pour elles. Ce seront leurs témoignages qui me permettront de déterminer la durée de peine nécessaire pour ce malotru.

 

*

 

10 jours plus tard

 

Cela fait dix jours que Irène est revenue à la maison. Cela me réconforte même si elle n’est pas toujours bien ; elle semble ailleurs. Je suis à son écoute dès qu’elle a besoin de se confier, je crois que cela lui fait du bien. J’ai appris ce qui s’était passé entre ces murs et je ne souhaite plus jamais que cela se reproduise. C’est pour cette raison que je n’ai pas estimé de durée pour la peine de Lothaire Dampierre, elle sera fixée lorsque Irène et toutes les autres femmes l’auront choisie.

Depuis ce combat, j’ai gagné en confiance en moi, je m’étais concentrée seulement sur mes failles mais je me suis rendu compte que j’étais très à l’aise avec mon épée et j’ai aimé ce sentiment.

Aujourd’hui, je poursuis toujours mes entraînements, cela m’aide à défouler ma haine. J’espère qu’avec le temps je serais moins en colère et surtout que le message sera bien passé. Désormais, je veux que les femmes se fassent respecter, et ne tolérerai pas les abus des hommes qui en privent certaines de leur liberté. J’apprécierais que les femmes soient reconnues à leur juste valeur et pour qui elles sont vraiment.

Que personne d’autre ne s’avise d’initier de nouveau ce type d’atrocités, car je suis prête à le défier !

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