Le gendarme qui faisait du jeu de rôles
J’ai connu Jean-Hugues Matelly au début des années 80, il était en première année de droit et faisait partie d’un groupe de jeunes joueurs de jeux de rôles surnommés « Les palavasiens ». Nous avons fondé à cette époque un club de jeu de rôles affectueusement nommé « Les forces du chaos », officiellement « cercle de jeu de rôles et de simulation montpelliérain » qui a fédéré tous les petits groupes de joueurs de la ville. Je parle de Montpellier dont le maire de l’époque, Georges Frêche a fini par nous céder un bâtiment complet de la fac de science où nous avions accès tous les soirs une vingtaine de salles : le rêve. Jean-Hugues (Matelly) JHM en est devenu président la deuxième année. Alors que je quittais Montpellier pour Paris, JHM est entré dans l’école des sous-officiers de gendarmerie (à priori les deux événements ne sont pas liés). Il en est sorti major de promo et après quelques années est entré à l’école des officiers dont il est (encore) sorti major. Ce qui a un peu énervé les Saint-Cyriens qui se réservent habituellement les premières places. Pendant ce temps, en dehors de ma carrière professionnelle, je militais pour la fédération anarchiste, autant dire que nos soirées ensemble étaient parfois agitées ! Ce qui en aucun cas ne nous a empêché de devenir (très bons) amis.
Nous avions cependant un avenir en commun. Milieu des années 90, le jeu de rôles s’étant démocratisés, la presse à sensation profite de chaque fait divers pour exposer péjorativement ce loisir tout comme aux USA fin des années 80. Les point d’orgue de ces attaques étant la profanation du cimetière de Carpentras qui aurait été un jeu de rôles qui aurait mal tourné et une émission de télévision « Bas les masques » où un certain docteur Abgrall, spécialiste des sectes fait des parallèles pour le moins douteux entre jeu de rôles et psychoses.
La messe est dite, les parents paniquent, les clubs de lycée et des villes ferment les uns derrière les autres. Les défenseurs du jeu font corps. À Phénomène J nous organisons des parties de démonstration où nous invitons les parents à rester comme spectateur avec des résultats ébouriffants, certains parents désirant se mettre à jouer. La presse spécialisée réalise des articles de fond. Nous sollicitons les autres acteurs comme les joueurs à nous rejoindre et le coup de couteau vient du milieu puisque certains joueurs passent en mode « Oui, mais c’est votre intérêt commercial qui vous motive ». Comme quoi les imbéciles sont partout.
C’est vers cette époque que JHM choisit son affectation en premier sur la liste de celles possibles du fait de son statut de major de promo : ce sera la brigade de recherche criminelle de Nîmes.
On se rend compte que la profanation de Carpentras n’est pas du tout liée aux jeux de rôles mais à un groupe de skinheads de la région (Mais quelle surprise !). Et JHM en profite pour écrire une étude exhaustive sur le jeu de rôles en 1997 qui outre une présentation claire et exhaustive du jeu explique avec soin toutes assertions infondées sur lesquelles se sont précipité les médias en quête de sujets.
Soyons clair, ce livre en 1997 a été une véritable arme contre les détracteurs du jeu. Et les professionnels s’en serviront avec diligence.
Cette étude a été réalisée à l’aide d’outils comme la criminologie et la sociologie, le tout expliqué en termes simples et clairs à l’usage de tous les publics.
JHM a œuvré parallèlement à la gendarmerie au CERP et au CNRS, et le résultat de ses travaux lui ont même valu un blâme présidentiel de Monsieur Sarkozy, vite invalidé par le conseil d’état.
Pourquoi une réédition en 2022 ? Il faut comprendre que le jeu à ses débuts s’est longtemps confiné dans un public essentiellement étudiant. Quand nous avons commencé à jouer au début des années 80 les règles, des livres de plusieurs centaines de pages, étaient en anglais. La traduction française des plus célèbres d’entre eux ont facilité l’arrivée de nouveaux joueurs. Depuis quelques années, il se démocratise encore plus au travers de boites d’initiation qui permettent de jouer très vite à peu de frais et sans grand investissement temps/travail. Le jeu de rôles est parfois même un personnage secondaire de séries à grande audience « Strangers things » en est un très bon exemple, les jeunes héros donnent même à leur némésis le nom d’un être mythologique mauvais dans le monde de Donjon et Dragons. N’oublions pas que les premières images d’ET de Steven Spielberg montrent une équipe de très jeunes joueurs, jouant à Donjon et Dragons.
Depuis beaucoup d’études sont sorties de manière dispersée dans le monde du jeu de rôles mais jamais d’une manière aussi précise et tranchée que le livre de JHM.
Du coup, appuyer la démonstration par cette réédition enrichie semblait une très bonne idée que l’éditeur Posidonia n’a pas laisser passer et c’est tant mieux !
J’en profite pour remercier chaleureusement Jean-Hugues Matelly pour… ses remerciements dans la postface.
Et pour l’anecdote (j’adore),
1° Je peux vous dire que deux Jean-Hugues dans « Les forces du chaos » ça mettait le trouble. Chacun ‘entre nous étant persuadé que l’on parlait toujours à l’« autre ».
2° Je joue toujours avec JHM, une fois par an, mais pendant quatre jours sans s’arrêter ou presque à ‘ « L’appel de Cthulhu », une campagne personnelle, très pulp accidentellement interrompue, et que nous nous préparons à l’accueillir dans la région pour une campagne de « Cthulhu antiquités » pour laquelle il a adapté règles, ethnies, etc…
Jean-Hugues Villacampa