Exposition 2024

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Découvrez l’exposition des illustrations de l’anthologie Textes de l’art

ImaJn’ère, Festival de l’imaginaire à Angers

A PROPOS

Les auteur·ices et illustrateur ·ices de notre anthologie ont bien voulu se prêter au jeu de l’herméneutique.

Cette exposition, présentée lors du festival 2024, a mis en avant le talent et la créativité des artistes locaux qui ont illustré les nouvelles sur le thème “Textes de l’art” pour leur donner vie. Les illustrations présentées ici ne sont pas le fruit d’un travail collaboratif avec les auteur·ices, ces dernier.e.s les ont découvert lors du premier jour de notre festival. À cette occasion, nous avons demandé à chacun et chacune de raconter, en peu de mots, leur démarche, leurs inspirations, leurs contraintes, tout en ayant carte blanche. Voici donc une variété de styles reflétant la diversité des genres et des tonalités des nouvelles présentées.

Que vous soyez un·e passionné·e de littérature ou simplement curieux·se, cette exposition est une occasion unique de découvrir les coulisses du processus créatif de l’illustration et de l’écriture de nouvelles.

Nous espérons que vous apprécierez cette exposition autant que nous avons apprécié la préparer. N’hésitez pas à échanger avec nos artistes sur les réseaux ! Toutes nos anthologies sont également disponibles sur notre site, dans l’onglet Anthologies | Boutique.

LES TEXTES

Couverture illustrée par Boris Beuzelin

Réaliser une affiche pour un festival, quand on est illustrateur, est une affaire très délicate car il faut bannir l’envie de produire, à cette occasion, la belle image que sont en droit d’attendre les commanditaires du projet. L’affiche doit, en première intention, attirer l’oeil par une puissance iconique forte et dans un second temps nous raconter une petite histoire ou pour le moins suffisamment intriguer pour amener le spectateur à s’interroger sur le sens de l’événement, ce qui l’amènera, espère t-on, à venir y participer.
Heureusement dans le cas du festival ImaJn’ère, plusieurs figures imposées m’ont, finalement, facilité la tâche. Tout d’abord les fondements même du festival, à savoir le polar et les mondes imaginaires, ensuite, le thème imposé de l’édition 2024, les Arts, et enfin l’éternel élément qui doit rappeler la ville hôte.
Une idée s’est imposée immédiatement à moi, alors même que Pierre-Marie n’avait pas fini de m’énoncer le brief au téléphone, le Street-Art. C’est autour de cette idée qu’allait tourner mon affaire et le cheminement en a été celui-ci : imaginons un graffeur qui s’empare d’une façade d’immeuble pour y accomplir une œuvre. Bien sûr pas n’importe quel immeuble, plutôt un vieux bâtiment rempli de climatiseurs parce qu’il fait trop chaud pour supporter la chaleur ambiante. Ça pourrait être le présent, mais on est dans un monde imaginaire, donc ça sera un futur plus où moins proche comme le montre les personnages au bas de l’image, mélange d’humains, de robots, d’extra- terrestres, peut-être, car on aperçoit deux vaisseaux à l’arrière-plan.
Que nous raconte le graffeur ? La planète est trop chaude, l’air est devenu irrespirable, les virus se sont développés à toute allure et l’on est submergé par le nombre, d’où cette référence au fameux jeu vidéo Space Invaders sur la façade. Parmi les personnages, celui à l’imperméable et à la tête de chien va à contre-courant des autres et il ne porte pas de masque. Sans doute est-il trop désabusé pour se soucier de sa santé parce qu’il sait que, de toute façon, on va droit dans le mur.
Enfin, pour la référence à Angers, hors de question de dessiner le vieux château, j’ai donc choisi le pont du tram, ce qui me donnait un élément graphique idéal pour chapeauter les dates et la titraille de l’évènement : ImaJ’nère 13.

Boris Beuzelin

Préface et avant-propos illustrés par Oscar Bernaud

Ayant pour principal passe-temps de dessiner des hachures, des volumes et des formes abstraites, j’ai cherché le moyen, pour ma première expérience dans l’illustration d’un texte, de conjuguer mes habitudes de dessin (je suis un peu monomaniaque il faut le dire) et la nouvelle qui m’était proposée.
A la première lecture, un passage m’a instantanément inspiré, un passage où je me sentais de pouvoir « envahir » la nouvelle sans la trahir : la transe extatique de Munkhtsetseg devant cette peinture étrange et captivante, cette hallucination la transportant en un lieu sans temps ni espace, où les mystères de l’univers sont incarnés.
Armé de mon rotring 0.25 pour le dessin et de ma tablette graphique pour les trames, c’est cette sensation écrasante, entre fascination et frayeur, évoquée par certaines œuvres d’art, que j’ai tenté de représenter dans mon dessin.
Cette sensation indicible que nous procurent les choses sublimes.

Oscar Bernaud

Pour illustrer la préface et l’avant-propos, nous avions besoin d’un dessin qui évoque le thème “Textes de l’art” dans une approche globale. Ce n’est pas un exercice évident car l’artiste n’a aucun texte sur lequel s’appuyer. Lors de la réception des illustrations, nous avons été conquis par celle d’Oscar Bernaud, qui était destinée à illustrer la nouvelle d’Oksana et Gil Prou, La Foudre pétrifiée. Son intention artistique nous a paru en adéquation avec notre vision de l’art. La composition en tourbillon qui rappelle l’émoi des émotions, le personnage sans visage… et qui représente bien nos réactions émerveillées à la découverte de chacune des illustrations reçues au cours du printemps !
L’héroïne de La Foudre pétrifiée est une étudiante dont la vision du monde est bouleversée par la vue d’un tableau. Elle cherche la connaissance dans les musées et se laisse porter par la beauté et la symbolique des œuvres. C’est ce que nous espérons voir survenir chez vous, lecteurs, devant chaque nouvelle et chaque illustration qui composent cette anthologie : de la curiosité et un remue-ménage d’émotions et de découvertes !

Pierre-Marie Soncarrieu | Manon Tardy

« Dans la peau du Mécène » de Bruce Holland Rogers, illustrée par Ronald Bousseau.

Le slogan « le réel est là pour les gens qui ne peuvent pas affronter la science-fiction ni la fantasy » exprime la plus longue guerre culturelle de mon existence. Ou, de façon plus poétique, dans une conversation entre J. R. R. Tolkien et C. S. Lewis : Tolkien observait que celui qui s’inquiète le plus de l’évasion de l’esprit et s’y oppose est, par essence, un geôlier. Cet échange, entre fantaisistes chrétiens, est d’autant plus poignant que la religion elle-même représente à la fois une évasion et une prison.
Dans cette guerre culturelle, je suis partisan des deux camps. Je suis un empiriste strict. J’aime la réalité telle qu’elle est et les anges n’existent pas. D’autre part, je trouve la réalité cauchemardesque, donc je prends soin de ne pas conduire plus vite que les anges ne volent.
J’ai rencontré Donat Bobet alors que je m’étais temporairement établi à Toronto. J’ai rencontré dans un livre une mention sur un artiste parisien qui possédait une collection de tableaux similaire à celle de Donat dans son appartement. Du moins, je crois avoir lu cette phrase. Je n’ai jamais réussi à me rappeler quoi que ce soit d’autre sur cet ouvrage, ni à confirmer l’histoire de ce fameux artiste. Dans l’intervalle, Donat s’est mis à m’accompagner lors de mes promenades à travers Toronto et à m’expliquer en français, avant que je ne comprenne le français, qu’il vivait à Montréal et qu’il vivait la poésie.
« Tu veux dire que tu vis de poésie ? lui ai-je répondu.
— Ça aussi. »

Bruce Holland Rogers (traduit par Lionel Davout)

Cette nouvelle m’a frappé à plus d’un titre. Le narrateur est peu défini, on s’immerge ainsi aisément dans ses enjeux et son parcours montréalais. Il décide de briser sa routine et se retrouve, comme sans doute espéré, confronté à l’inattendu. Un inattendu qu’il devra apprivoiser et qui lui fera modifier son point de vue.

Une narration efficace qui évite le spectaculaire et décrit un réel du quotidien où la poésie apparaît sans crier garde. Il me semble que le propos est celui-ci : la poésie, voire la narration au sens large, pour s’apprécier a besoin, bien sûr, de l’imagination du poète ou du conteur, mais plus encore de celle de l’auditeur ou du lecteur.

Ronald Bousseau

Les 4 poèmes de Morgane Stankiewez, illustrés par Nzo

Je suis Poétesse.

Cette affirmation a mis des années à jaillir. C’est un secret venu des éons passés, des abysses les plus profondes de ma psyché, jusqu’au rivage de ma conscience où désormais il irrigue chaque parcelle de mon être.
La Poésie, qui s’exprime de bien des manières dans la matière, n’est pas seulement constituée de mots ou de sons. C’est avant tout une vision, un regard posé sur le réel qui l’interprète, voire qui le modèle, le transforme. Métamorphose ovidienne de tout ce que touchent les yeux de la Poétesse.

C’est aussi un héritage. Tant de Poétesses avant moi ont perdu leur voix, telle la Sirène d’Anderson. C’est mon rôle de hurler en leur nom comme au mien, de remplir mon firmament de papier de nos éclats de rage, d’amour, de peine, de désir et d’élation.

Anaïs Nin disait que c’était là l’essence même de la femme que de plonger sa queue de sirène dans les tréfonds de l’inconscient et de le faire émerger, telle une psychopompe. Je me fais ainsi fille d’Orphée, comme elle, comme toutes avant moi, après moi.

L’Art est total : ma Poésie, mon écriture, ne sont pas des métaphores déconnectées de l’expérience, des façons d’aborder le monde, une vision de l’Art : elles sont mon monde, plus vraies encore.

Il n’y a nulle métaphore dans mes mots, mais une expression de mon expérience, de ces courants qui me parcourent, de mon eau et de mon sang.

J’écris à l’encre la plus intime.

Morgane Stankiewiz

« Quelques gouttes de rouge et de bleu » de Nadia Coste, illustrée par Laure Truffandier

En 2020, on m’a proposé de participer à une anthologie de nouvelles de SF pour parler du futur de façon positive. J’ai eu le thème de l’alimentation, et je me suis lancée dans cet univers post-apocalyptique opposant les habitants des campagnes, vus comme des barbares arriérés qui mangent ce qui pousse DANS LA TERRE, et les habitants des villes qui ont potentiellement résolu la question de la faim dans le monde grâce au Violet. Je ne peux pas nier que Soleil Vert a été l’une de mes inspirations (le film plus que le roman).
Mais cette nouvelle, qui mettait en scène une mère et sa fille séparée par une catastrophe naturelle, était bien trop sombre pour l’anthologie. J’ai finalement préféré une autre histoire, et j’ai mis de côté le Violet avec l’impression d’avoir de la matière pour un roman.
J’ai créé le personnage de Jade au cours du travail de fond qui a suivi. Sa découverte de l’art par ce qui avait été sauvegardé après les catastrophes me plaisait beaucoup, notamment l’image des tableaux sur lesquels la nourriture solide aurait été censurée. Version après version, Jade se développait et prenait toute la place, me conduisant, en novembre 2023, à me concentrer sur son histoire à elle, quitte à couper tout le reste.
Lorsque l’on m’a proposé d’écrire une nouvelle autour de l’art, j’avais tous les éléments en main pour boucler la boucle !

Nadia Coste

Deuxième texte, deuxième illustration, deuxième approche. Un texte jeunesse, je pouvais donc être plus libre sur la stylisation. Je cherchais un style Comics/BD… Un peu à la Spider Man. J’ai donc utilisé des trames pour accentuer les ombres, un encrage dynamique, des contrastes francs et joué avec les décalages d’impression afin de multiplier les éléments. J’ai dû faire une version noir et blanc pour la publication de l’anthologie, mais la nouvelle criait tellement la couleur que… J’ai quand même mis de la couleur dessus. J’ai donc pu vraiment jouer avec des décalages de couleur comme je voulais.
J’ai cherché à représenter Jade face à l’adversité de son univers, et quoi de mieux que de se battre avec son art et des pinceaux.

Laure Truffandier

« Toccatina forte » de Vincent Dioniso, illustrée par Dennys Co

“Je est un autre” selon le bon Il y a quelque chose de fascinant dans un orchestre philharmonique. Un grand paradoxe qui, pour un profane comme moi, est difficile à comprendre. Je veux dire vraiment comprendre.

Sur le papier, c’est une armée, un ensemble méticuleux d’instruments au service du collectif. Chacun a sa fonction pour rendre justice à la composition. Et puis, quand on s’y penche un peu, on voit une hiérarchie. D’abord subtile, puis presque violente. Des solistes, des premiers violons, que le chef d’orchestre salue tandis qu’il ignore la plèbe des autres interprètes. La musique est, entre autres, un art de précision. De méticulosité. Je n’ose même pas imaginer la dévotion nécessaire à quiconque intègre un orchestre philharmonique. Les sacrifices, les heures de travail, la souffrance, la frustration. C’est presque inhumain et, vu de l’extérieur, difficile à comprendre.

Alors imaginer l’obsession, l’ambition que cela requiert d’atteindre le prestige d’un premier violon… Est-ce qu’il n’y aurait pas de quoi perdre la raison ?

Vincent Dioniso

Toccatina est une histoire d’obsession, celle de Gerdt, le personnage principal essayant désespérément de percer à jour son confrère violoniste André.

Au premier plan, Gerdt, penseur, forme une grande silhouette sombre, très géométrique, rigide, dans l’ombre. En arrière-plan, André, au violon, est plongé dans une lumière aveuglante, brûlante. Il éclipse littéralement Gerdt, tout en étant placé au-dessus de sa tête, occupant son esprit et l’enveloppant dans un flot tourbillonnant.

Le tourbillon représente à la fois le flot de musique et le flot de pensées, centré sur André et son violon, mais enveloppant Gerdt dans un chaos désorientant. Il sert aussi à créer un double contraste avec Gerdt, un contraste de couleur qui permet de faire ressortir la silhouette noire du penseur, mais aussi un contraste de forme entre les courbes chaotiques et les formes solides.

L’ensemble des courbes et les lignes désaxées, formant des spirales centrées autour des deux personnages, perturbe la perspective et la perception, créant un sentiment de malaise et de trouble, évoquant l’état d’esprit du personnage principal.

Le but de cette image est de représenter le contraste et la distance entre les deux personnages, créer une distance entre les deux, tout en maintenant une connexion malsaine et asymétrique.

Dennys Co

« Partitions » d’Audrey Pleynet, illustrée par Fabien Collenot

Ça faisait longtemps que je voulais écrire un texte sur de la musique classique et réfléchir à la question de l’harmonie. Est-elle universelle ? N’y aurait-il pas une proximité entre les formes d’intelligence sensibles à la même harmonie musicale ?

Poser cette question dans un contexte de rencontres avec des races extraterrestres me paraissait intéressant. La musique est-elle utilisée différemment alors ? Comme un langage, un code, une formule mathématique ? Je voulais aussi depuis un moment écrire une nouvelle avec la question du doute en son cœur. C’est un équilibre subtil, comme un funambule sur un fil, qui ne doit jamais basculer. J’espère avoir réussi l’exercice et que le lecteur a apprécié la musique de mon texte.

Audrey Pleynet

Pour la réalisation de cette illustration, comme souvent je réalise mon esquisse aux crayons de couleurs sur papier puis la prend en photo et finalise sur tablette graphique via Procreate (un outil numérique très sympa et très intuitif). L’idée sur cette réalisation était d’amalgamer les éléments qui m’ont parlé et marqué, me basant sur les informations données au fil des lignes. J’ai donc représenté un extraterrestre avec un brin d’ADN entre les mains jouant de la musique, le langage utilisé pour codifier leur code ADN en arrière-plan et deux planètes qui se croisent sur un fond galactique.

Fabien Collenot

« Détails de l’exposition » de Jean-Claude Dunyach, illustrée par Caza

J’aime l’art quand il est dérangeant. Quand il m’interroge, quand il me tend un miroir déformant devant lequel j’ai envie de grimacer.

L’idée de cette nouvelle m’est venue dans un musée. À Londres, probablement. Je me baladais dans une exposition d’art conceptuel (en 1982, ce n’était pas vraiment courant) et je me suis demandé si le musée, puis par extension le monde tout entier, ne pouvait pas prétendre au statut d’œuvre d’art. La question suivante a bien sûr été « si oui, qui l’a créé ? » et surtout « quelle sorte de gens viendraient la visiter ? ».

J’aurais pu imaginer une race extraterrestre en train de nous scruter au microscope, comme nous étudions les paramécies. Mais cela ne me satisfaisait pas. J’avais besoin de quelque chose de plus humain. Alors j’ai joué autour de l’idée d’un catalogue d’exposition dans lequel j’ai fourré diverses choses – il y a eu onze versions de cette nouvelle, qui était ma cinquième. J’en ai profité pour expérimenter quelques techniques, elle m’a servi à faire des gammes. Toute écriture est un apprentissage et c’est encore vrai aujourd’hui.

Jean-Claude Dunyach

L’ami Dunyach n’est pas forcément facile à illustrer : ses textes foisonnent verbalement, il en naît souvent des foules d’images, mais parfois ils sont plus abstraits. Comment traduire une sorte d’art fait de coupes temporelles qui font glisser les unes sur les autres des phases de temps pêchés dans le passé ? M’est venu très vite le principe d’une image qui serait découpée en tranches. Une Napolitaine ? (Hommage à JCD qui est un grand pourvoyeur de terrifiants calembours au cours des conventions). Pas de Napolitaine dans son histoire. L’attentat de Sarajevo, la chute de l’Empire State Building, l’assassinat de Kennedy, etc. Un peu trop spectaculaire, tout ça, pour les faibles moyens d’un illustrateur vieillissant sur une page en noir et blanc. Mais heureusement, une geisha.

Donc la geisha.

Et un rendu en niveaux de gris pour que la découpe en tranches se lise bien sur le fond blanc du papier.

Caza

« Molosses » de Clémentine M. Charles, illustrée par Fabien Collenot

Cela fait des années que je cherche un moyen de mettre en lumière les enjeux et difficultés vécus par les populations autochtones états-uniennes, que j’ai pu rencontrer lors de ma formation d’anthropologue. Une existence ambivalente, dissimulée derrière les frontières floues des réserves, et qui repose sur une profonde dichotomie : ni réellement Américains, ni tout à fait Natifs, qui sont ces gens et comment se définissent-ils ? M’est venue l’idée des mines célestes, mixture de Germinal et d’études sociologiques on ne peut plus terrestres, ainsi que l’envie de raconter le réel via un autre biais : celui de la science-fiction. Le thème “Double Je” était alors tout trouvé : et si je me servais du concept de l’hôte-possesseur pour questionner l’injustice de l’idée, toujours vivace, d’une hiérarchie des hommes selon leurs origines ? C’est donc à la fois la schizophrénie d’un homme mais aussi celle de toute une société qui se joue au cœur de Molosses.

Clémentine M. Charles

Pour mon illustration de la nouvelle Molosses, sur le thème “Double Je”, j’ai choisi la scène finale qui m’a permis de dévoiler le lieu où se situe l’histoire, en l’occurrence un astéroïde perdu dans l’espace, et de placer au centre de l’image le personnage principal et l’entité en arrière-plan telle une divinité qui l’influence et lui dicte ses actes. C’est aussi le moment où le héros se plie aux ordres de l’entité comme un bon chien obéissant.

La contrainte du noir et blanc finalement n’en était pas vraiment une, cela m’a permis de symboliser avec un fort contraste la galaxie et de mettre vraiment en valeur nos deux personnages ainsi que leur puissance, leur aura et aussi le côté brutal de cette scène.

J’ai réalisé cette illustration de la façon suivante : des esquisses au crayon de papier dans un premier temps pour chaque élément que je voulais intégrer, que j’ai ensuite scanné sur tablette graphique pour les associer dans une même image, y ajouter les effets que je souhaitais, jouer avec les contrastes, etc…

Fabien Collenot

« La Mémoire des masques » de Cédric Murphy, illustrée par JMX

Le concept de “double je” est pour moi universel. On change tous notre comportement selon le contexte où on se trouve, on s’adapte à chaque personne, à chaque cercle social, à chaque situation ; on est tous la somme de plusieurs “je”, le résultat de plusieurs facettes innées et de rôles sociaux imposés. C’est cette idée qui m’a inspiré mon texte, en prenant le concept au pied de la lettre : un monde où chacun joue un rôle, voire plusieurs rôles, en société, et garde dans un coin ce (ou ceux) qu’il pourrait être en réalité au fond de lui. J’ai appliqué ce principe à un personnage précis, avec ses propres rôles et ses propres secrets, une véritable personnalité qu’il essaie de fuir en se perdant dans les personnages qu’il joue, tout en gardant à l’esprit qu’il est seulement un cas de figure parmi tant d’autres. Les “je” peuvent changer, les rôles et les masques aussi, on en est plus ou moins impacté, on s’en accommode plus ou moins, on trouve plus ou moins sa place malgré tout, mais le processus est commun à tous.

Cédric Murphy

Je lis La mémoire des masques et le film se déroule dans ma tête. Le cinéma mental se met en action, les personnages se mettent à bouger, leur visage m’apparaît, les décors, les ambiances et les effets spéciaux se révèlent à mes yeux comme si j’étais invité à une projection privée. Ensuite, tout le travail pour moi est de transcrire ce que j’ai vu avec mes yeux tournés dans mon imagination en une seule image. Je cherche à transmettre au lecteur une émotion en une image, de manière à ce qu’il se retrouve dans l’interrogation et l’envie d’en savoir plus. Je ne veux pas révéler l’histoire, mais plutôt l’émotion qu’elle a suscitée chez moi.

JMX

« L’effondrement de la fonction d’onde » de Thierry Crouzet, illustrée par Ronald Bousseau

Si un “je” se dédouble, ses doubles se dédoublent à leur tour et ainsi de suite. Un double “je” devient inévitablement une multitude de “je” dans une multitude de mondes. Inversement, cette foule peut se contracter en un seul. C’est peut-être ce que nous appelons grandir.

En 1921, dans Eupalinos ou l’architecture, Paul Valéry a exprimé cette idée :

SOCRATE: Je t’ai dit que je suis né plusieurs, et que je suis mort un seul. L’enfant qui vient est une foule innombrable, que la vie réduit assez tôt à un seul individu, celui qui se manifeste et qui meurt. Une quantité de Socrates est née avec moi, d’où, peu à peu, se détacha le Socrate qui était dû aux magistrats et à la ciguë.

J’ai pensé à la computation quantique où toutes les possibilités sont explorées en même temps grâce à la superposition des états, à moins que la fonction d’onde ne soit réduite lorsqu’elle est observée, pour offrir une réponse unique. Il ne s’agit pas d’une métaphore, mais peut-être littéralement de ce que nous traversons au cours de nos vies. Il y a quelque chose de quantique en nous, puisque pour commencer nous sommes capables de penser à plusieurs choses en même temps.

Thierry Crouzet

L’effondrement de la fonction d’onde est un récit assez fou.

J’y ai vu une recherche identitaire. L’héroïne est ici et partout à la fois. Les personnalités, les lieux et les moments se mélangent dans une sorte d’omniscience. Ce récit réussit à rendre simple un ensemble éminemment complexe. C’est hors du temps. Cela m’a tout de suite évoqué les textes de Borges et aussi le fameux L’invention de Morel de Bioy Casares.

L’idée d’un œil de bœuf ou d’un miroir convexe m’est venue assez rapidement. J’aime les compositions rondes (ça attire l’attention) et l’aspect convexe a souvent été utilisé en peinture pour montrer ce qui, normalement, sort du cadre. Cela me semblait coller avec ce maelström où est plongée la protagoniste. C’était la forme la plus pratique pour représenter ce mélange de perte d’identité, de conscience, d’inconscience ainsi que la multiplicité des lieux. D’ailleurs, ce qui est marquant dans cette nouvelle est qu’il n’y a pas de lieu emblématique et l’héroïne est assez insaisissable. C’est un voyage intérieur. Ce que j’ai essayé de retranscrire est donc avant tout un état d’esprit.

Une des contrainte est d’illustrer en noir et blanc. Pour ma part, je trouve ça plutôt libérateur. Cela me permet de chercher l’essentiel. Le trait et la composition prennent toute leur importance. Le travail numérique tend à lisser les traits. Ce qui, dans beaucoup de cas, est très pratique mais peut paraître un peu froid. Ici j’avais envie d’un trait organique et spontané. J’ai donc utilisé un pinceau texturé qui rappelle un crayon gras ou une craie, ce qui donne une impression de papier épais.

Je suis assez satisfait de cette illustration, elle me semble assez correctement retranscrire l’impression que m’a faite cette nouvelle (très bonne, croyez le !). En y jetant un œil avec un peu de recul, certaines zones me semblent manquer de lisibilité. Je les aurai volontiers retravaillées. Mais bon, c’est le jeu ma pauvre Lucette !

Ronald Bousseau

« Supère-Noël » de Francis Carpentier, illustrée par Lola Collenot

À force de passer pour un moins que rien et de compter pour que pouic, on laisse dire mais on n’en pense pas moins, on sait ce qu’on sait et on le garde pour soi, on vit sa vie sans rien demander à personne ; on joue le jeu des rigolards qui se paient la fiole du pauvre gars avec la satisfaction de pouvoir se dire : « Ah, s’ils savaient ! »

Qu’on s’appelle Clark Kent, Pete Parker, Bruce Wayne ou Jean-Luc, on est plus riche de ses deux vies que ceux qui ne savent que dire : « On n’a qu’une vie, profitons-en et à la tienne ! »

Aussi c’est sans remords que j’ai trahi mon propre secret en révélant ce que je vis chaque année à Noël dans le sous-sol de ma bicoque, car cette belle histoire méritait, j’en suis sûr, d’être portée à la connaissance de mes amis d’ImaJ’nère et, grâce à eux aux yeux du monde entier, comme la preuve certaine que tant qu’on pourra trouver un peu d’inspiration devant un verre de pastis, accoudé au comptoir du café-tabac du bourg, l’Univers ne sera pas tout-à-fait fichu.

Francis Carpentier

Concernant la nouvelle Supère-Noël, j’ai décidé de reprendre le style graphique de la 1ère nouvelle qui m’a été donnée (Plus bas que l’enfer), utilisant le dessin numérique avec le logiciel procreate. J’ai choisi une scène de la nouvelle qui est pour moi un point clé de l’histoire et surtout le début de l’aventure. J’ai eu bien d’autres inspirations, d’autres scènes intéressantes à illustrer, mais dans la vie il faut faire des choix…haha

La scène pour laquelle j’ai optée se prête très bien à la contrainte du noir et blanc. J’ai choisi une ambiance glauque, car c’est ce que j’ai ressenti en lisant cette scène. Un instant sombre et vaporeux, un peu sale.  J’ai voulu jouer des perspectives, en imaginant que vous pourriez aisément vous prendre pour ce personnage, découvrant cette “carcasse” de papa Noël cramoisi.

Lola Collenot

« Plus bas que l’enfer » de Benoît Patris, illustrée par Lola Collenot

Avez-vous déjà senti
Ce passager clandestin
S’immiscer dans votre esprit
Pour vous forcer à faire des choses
Contraires à la morale ?

Benoît Patris

Le thème du festival “Double Je” m’a fortement inspiré, pour moi il évoque un monde sombre, malfaisant, inquiétant, la schizophrénie et bien d’autres choses… La nouvelle Plus bas que l’enfer était parfaite pour moi, effectivement j’affectionne particulièrement ce genre d’ambiance.
J’ai donc voulu faire ressortir tous ces aspects en utilisant une scène de la nouvelle, qui illustre très bien le thème du festival, et qui est aussi un point fort de l’histoire : l’homme, le miroir, le je, le double… C’est aussi une super scène à dessiner. La contrainte du noir et blanc ne l’a pas été, bien au contraire. J’ai utilisé le dessin numérique, avec Procreate, ce qui m’a permis de jouer des textures et des contrastes, pour un résultat propre et clair.

Lola Collenot

« Le Nain qui parlait aux morts » de Jérémy Bouquin, illustrée par Rackham le Roux

Si “Je est un autre” comme dirait… l’autre, – cela donnerait quoi ?
C’est le postulat général de cette nouvelle. Évoquer le “Double Je”, c’est s’interroger sur soi. Le polar, le roman noir se pose comme l’un des genres les plus adaptés y pour répondre. Partir d’un fait divers, d’un crime horrible, d’une énigme pour se poser la question existentielle sur qui nous sommes ? Ce qui fait qu’on est là ? Sur l’environnement dans lequel on évolue et surtout : est-ce qu’on trouvera la solution ?
Tout est là. Posé. Le récit court, une discussion, une intrigue que tout le monde connaît… Le polar, roman noir comme une littérature de contrebande, est un prétexte. Une charpente récréative pour passer des messages. Un principe simple, né il y 420 avant Jésus Christ, du premier polardeux connu : Sophocle,
évidemment.

Jérémy Bouquin

Après la lecture du Nain qui parlait aux morts, je voulais retranscrire par le dessin un lieu, un décor poisseux à l’image du récit avec ses personnages torturés et de son lieu d’enquête. En réalisant quelques esquisses, j’ai écarté cette piste pour mettre en avant la représentation du petit garçon, figure centrale de l’enquête.
Au milieu des adultes qui s’interrogent, se confrontent pour obtenir une vérité (qu’ils n’auront sans doute jamais) sur la disparition de la mère, le gamin vit ses propres traumas, reclus sur lui-même, et combat ses propres démons intérieurs. Cette scène illustrée devrait interroger et distiller quelques pistes sans pour autant dévoiler toute l’histoire.

Rackham le Roux

« Nouvelle vie » d’Arnaud Cuidet, illustrée par Laure Truffandier

Je suis plutôt du genre à avoir des débuts difficiles sur les appels à texte : il me faut du temps pour m’approprier la thématique. Pour une fois, ça n’a pas été le cas, j’ai tout de suite été inspiré.
Il faut dire que, par chance, mon univers intérieur était bien préparé : depuis plusieurs années, je me pose des questions existentielles sur nos parts d’ombre et nos démons intérieurs (je vous recommande vivement l’épisode “L’ennemi intérieur” de Star Trek TOS !). Et concernant la science-fiction, la transhumanité me questionne beaucoup, et je suis un grand fan de Ghost in the Shell (et de l’œuvre de Masamune Shirow en général). Donc, “Double Je” m’allait comme un gant !
Je pourrais vous en dire plus, mais ça serait (presque) un spoiler…
(Je ne crois pas aux postulats du transhumanisme. Je ne pense pas que nous pourrons télécharger nos consciences, ni dans des machines, ni dans des clones de nous-mêmes. D’après ce que j’ai compris, cela fait de moi un post-matérialiste : pour moi, la conscience humaine ne se résume pas aux neurones qui constituent notre cerveau et aux interactions physiques entre ceux-ci.)
Bonne lecture !

Arnaud Cuidet

En tant qu’illustratrice, je me fis beaucoup à des textes pour pouvoir produire des images. Je suis donc ravie d’avoir des nouvelles sur lesquelles je peux donner ma vision des choses. Je me fis moins au thème imposé aux auteurs et autrices que le texte que j’ai eu en lui-même. Le thème était leur contrainte, la mienne est de donner vie à leur histoire.
J’ai eu l’opportunité de travailler sur deux nouvelles pour cette édition et je n’ai pas du tout choisi la même approche. Quand j’illustre un texte (nouvelle, roman…) je souhaite soit résumer tout le texte en une image, pour montrer l’ambiance générale qui s’y trouve ; soit prendre un moment fort et l’illustrer. Mes recherches pour la première nouvelle tendaient vers ces démarches habituelles jusqu’à ce que j’ai l’idée de faire une planche scientifique.
Ça n’allait pas être facile, mais le pari était lancé à moi même, j’avais envie de faire ça, qu’est-ce que ça allait être marrant ! Et je suis ravie du résultat final. Ma technique pour le noir et blanc étant de faire des hachures, la difficulté est de garder l’image lisible et que les éléments que je veux distincts le soient réellement.

Laure Truffandier

« Moi autre » de Robert Darvel et Jérôme Verschueren, illustrée par Antoine Delalande

Making-of de Moi autre
Élaborer une histoire sur le thème du double est amusant si le double lui-même participe à l’écriture. Quatre mains, vingt doigts pour une plume, autant d’ongles qui grattent la feuille.
Gardons à l’esprit que du point de vue de chacun, le double, c’est l’autre, ce qui donne en vérité deux doubles et chaque ongle a son propre double qui lui-même, etc. Encore la figure où la somme est supérieure au total des parties, lâchez un couple de doubles dans la nature : des lapins. Et Fibonacci, donc.
Une fois l’histoire bouclée, chacun retourne à ses activités. Car si écrire à quatre mains est possible, boire à deux bouches dans le même verre s’avère ardu, au même titre que d’autres affaires de la vie courante.
Pour parler de leur texte, il faut réunir les doubles.
Or, le mien est empêché. Son compte est soldé, pas de congés possibles – et du désert médical où il a planté sa tente, pas l’ombre du mirage d’un arrêt de travail. Je me suis trouvé seul face à l’exercice.
Pour autant, je ne pouvais accaparer la parole, aussi ai-je sciemment laissé vides les endroits où il aurait dû intervenir – selon la méthode d’écriture de la nouvelle.
Voici un court extrait du résultat, qui montrera l’étendue du désastre et l’inintérêt de soumettre la chose dans son entier :

Notre traitement du thème du double nous a […] bien qu’il faille […] du genre honni qu’est la fantasy, il s’est avéré que […] sans pour autant sacrifier à la […] d’avoir vu – j’en jurerai – des […] peut-être n’était qu’un troupeau de rutabagas sauvages […] il ressort de l’exercice que […] te dispense d’écrire comme un cochon […] qui bâcle retourne chez sa mère. Etc., etc.

Robert DARVEL / [Jérôme VERSCHUEREN]

Sur cette illustration, on retrouve les trois éléments qui m’ont fait tilt lors de la lecture : la ville, immense labyrinthe qui apparaît au dessus de notre “héros” dès les premières pages de la nouvelle, la petite poule à l’œil et l’âme plus noirs que l’anus de Satan et enfin, la dégaine du bonhomme décrite de manière absolument fantastique. C’est bien simple, dès la première page, j’avais déjà tout ce qu’il me fallait. Le concept de l’illustration a donc été très rapide à réaliser, ce qui m’a permis de me focaliser sur de plus petits détails.

Antoine Delalande

« Diapason » d’Audrey Pleynet, illustrée par Caza

J’adore écrire sur les moments où la conscience devient flou, ou la notion du moi s’étiole. Mais j’avais aussi envie depuis quelques temps de travailler autour du principe du microchimerisme fœtal, cet échange de cellules entre un fœtus et la femme enceinte, et comment la mère garde en elle pendant des décennies des
cellules des enfants qu’elle a portés. Le thème Double Je de Imajn’ère m’a permis de combiner ces deux thématiques. Même si au début, je voulais explorer un univers de medieval fantasy, une première pour moi, un autre décor s’est imposé à moi. Je suis revenue à la science-fiction, et le Double Je se traduisant dans mon texte par des intrigues de cour, j’ai imaginé une Venise des airs, faite de palais sur tiges et de gondoles volantes.

Audrey Pleynet

Illustrer…
D’abord, comme une évidence, lire le texte. Ensuite, capter dedans ce qui m’inspire, comme on dit, c’est-à-dire ce qui me donne envie de dessiner. Il y a tellement d’entrées possibles, même dans une simple nouvelle !
Personnages, décors, scènes… Un élément, deux, trois ? Surtout ne pas essayer de tout mettre. Une scène ou un moment capital, peut-être, mais pas forcément. Peut-être une composition réunissant ces deux ou trois éléments, peut-être une image plus symbolique… De toute façon, autant que possible quelque chose qui donne envie de lire, d’entrer dans l’histoire, nouvelle ou roman. Une image teaser. Une porte ouverte.
Pour Diapason d’Audrey Pleynet, je ne manquais pas d’éléments visuels : une Venise aérienne, un certain baroque, des personnages féminins, de l’action… mais l’envie surtout de traiter l’ancêtre, la matriarche-marionnettiste, son fauteuil d’apparat et ses fioles de nanomachines suspendues à des chaînettes d’or.
Avec ça, l’envie que ça plaise à l’auteur. (Je pense et dis « auteur », comme on dit « peintre » ou « poète », quel que soit son sexe ou son genre.)
Ensuite, format, noir & blanc, délai, etc., j’ai l’expérience (sans vouloir me vanter).

Philippe Caza

« L’extase du révérend Cole » de Pierre Léauté, illustrée par Le Gris Bouilloir

Écrire une nouvelle, c’est poursuivre un paradoxe impossible : susciter l’évasion du lecteur dans le réduit d’un texte limité. Cette ambivalence, faite à la fois de liberté et de contraintes, conduit à l’essentiel et non à l’économie des sentiments. Ce “Double Je” qui lutte en l’écrivain, entre l’avide et le conscient, pousse le lecteur à apprécier la dureté de la concision, à goûter l’amertume d’une fin trop proche et d’une promesse parfois effleurée. L’extase du révérend Cole n’est cependant pas un feu de paille, mais l’extension parallèle du roman The 8 List. Une autre réflexion autour de la monétisation de la haine. Et si nous étions les adeptes d’une nouvelle religion ? Et si la facilité avec laquelle nous interagissons sur les réseaux sociaux faisaient de nous les tenants d’un culte d’un genre inédit ? Les gens de bien, scotchés à l’écran de leur smartphone, persuadés de n’être coupables de rien. Pourtant, de la victime au bourreau, il n’y a qu’une caresse : celle de votre doigt sur l’application “The 8 List”. Voilà le miracle du révérend Cole, entre bienfaits et méfaits, entre ignorance et conscience.
Spoil : personne dans cette histoire n’est innocent. Mais peut-on le ressentir en 25000 signes ?

Pierre Léauté

En découvrant le texte de The 8 List, j’ai été captivé par la nervosité, la rythmique du style. Je voulais que ça se perçoive dans l’illustration. C’est ce qui m’a fait opter pour un aspect très gribouillé et le jeu de projections d’encre.
Au début, je pensais illustrer une scène du récit, mais j’avais peur de trop dévoiler l’intrigue. En faisant quelques croquis de recherche, j’ai trouvé une similarité entre les anciens modèles de smartphone et la guillotine. C’est ce que j’ai voulu garder.
Le texte a également un côté satirique prononcé. J’ai essayé de faire ressortir cela dans l’image en y intégrant quelques éléments de l’iconographie chrétienne, le tout de façon plus dérisoire que réellement blasphématoire. J’ai obtenu un résultat qui me semble avoir un impact graphique assez fort, qui attire l’œil, presque abstrait. Presque logotypique (mais tout de même très gribouillé). Assez en phase avec l’idée que je me fais de l’esthétique recherchée dans une application de smartphone au final. Un résultat qui est assez intrigant pour donner envie de lire l’histoire tout en en dévoilant très peu, pour que le suspense soit autant maintenu que possible.

Le Gris Bouilloir

« La Chatte de Bukowski » de Laurent Whale, illustrée par Laure Truffandier

Pourquoi Chuck ?

Pour sa poésie déglinguée, pour son talent foutraque.
Pour ses dérapages à 40°, pour ses éclats de vie, de rire et de spleen.
Pour son irrespect des institutions et son aversion pour les cravates.
Parce qu’il a toujours brisé les tabous entre ses moi, ses toi et ses elle.
Il n’est pas double, Chuck : il est triple, trouple, trouble.

Il est.

Laurent Whale

Dans mon travail, je préfère interpréter, adapter et illustrer des choses qui ont été créées par d’autres plutôt que de créer moi-même à partir de rien. C’est pour cela que j’aime me reposer sur des textes, des émotions, des mythes… J’aime beaucoup utiliser des couleurs saturées dans mon travail. En effet, les ambiances lumineuses servent à véhiculer des sentiments et des sensations. Il faut donc ruser pour montrer ces émotions autrement, quand on travaille en noir et blanc : la composition, la balance entre les zones claires et foncées.
J’ai eu l’opportunité de travailler sur deux nouvelles pour cette édition et je n’ai pas du tout choisi la même approche. Pour cette deuxième nouvelle, je voulais dénoncer le point de vue qu’avait le narrateur vis à vis des femmes. J’ai donné mon interprétation, mon adaptation du texte. J’ai donc exagéré des passages du texte pour finir avec ce visuel. J’ai décidé de faire cohabiter deux techniques dans une même image, pour plus de lisibilité sur fond blanc, mais également pour faire comprendre que les deux protagonistes étaient opposés.

Laure Truffandier

« Mnémothèque » de Wilfried Renaut, illustrée par Le Gris Bouilloir

Réfléchir sur le thème du Double Je incite à questionner les figures archétypales des récits, voire des sociétés. L’écrivain peut se jouer du lecteur en renversant les préconceptions qui, de prime abord, définissent la fonction de certains protagonistes. Ce thème pousse à composer des personnages gris, instables, et par extension, plus réels, puisqu’un individu ne dévoile aux autres qu’un pan choisi de lui-même.
Comme son titre l’indique, Mnémothèque traite de la mémoire. Un sujet qui me tient à cœur, en tant qu’historien de formation. J’aime questionner son objectivité, vanter sa préciosité et aborder ses détournements, par manque de contexte ou par intérêt.
La mémoire est une ressource faillible, sujette à l’omission. À la fois magnifique, dans ce qu’elle décrit d’espaces et de temps inconnus, et parfois dangereuse, quand on la presse de révéler la vérité, sa sauvegarde est indispensable à l’avenir. Mais à quel prix ?
Une vaste question à laquelle se confronte l’inspectrice Nora Sandvik, dans un monde où les nouvelles technologies donnent accès aux souvenirs des défunts.
Mnémothèque s’inscrit dans un cycle de textes courts dans lequel j’interroge le corps et ses hybridités, sa sénescence ou encore son immortalité.

Wilfried Renaut

À la première lecture de Mnémothèque, beaucoup d’images me sont venues en tête. La nouvelle est très cinématographique. J’ai commencé mes recherches en essayant de me focaliser sur certains plans du récit qui me semblaient très forts. Mais je n’étais pas content du résultat, les illustrations auraient été intéressantes au milieu du récit, mais pas à côté du titre. J’ai donc décidé de changer la façon de réfléchir l’illustration.
Je me suis demandé ce qui pouvait symboliser la mémoire endommagée et j’en suis arrivé à l’idée de quelque chose de très épuré et minimal noyé au milieu du blanc de la page. Je me rends compte à présent que compte tenu des contraintes d’impression, j’aurais probablement dû opter pour une illustration un peu plus
grande ou des traits moins fins. J’avais déjà fait une illustration sur le rôle de l’hippocampe dans la mémoire à court terme, et ayant une certaine sympathie pour cet animal je voulais le représenter. J’ai ajouté un regard de part et d’autre pour renforcer le positionnement de l’hippocampe au sein du cerveau. Également parce que le regard attire l’œil du spectateur. Et puis peut-être aussi pour un passage du scénario, mais il vaudrait sûrement mieux que vous lisiez la nouvelle plutôt que je vous en parle.

Le Gis Bouilloir

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