Truismes – Marie Darieussecq

truismes

Dérangeant, déstabilisant, surprenant, innovant… Une chose est sûre : Truismes ne laisse pas de marbre. C’est d’autant plus étonnant que c’est un premier roman ; celui de Marie Darrieussecq. Titulaire d’une khâgne à Louis le Grand, d’une agrégation en lettres modernes à l’École Normale Supérieure de Paris ainsi que d’un doctorat à la Sorbonne, elle est arrivée sur la scène littéraire en 1996. Elle a écrit une quinzaine d’autres romans depuis, dont Il faut beaucoup aimer les hommes, qui a remporté le prix Médicis.

Truismes, c’est l’histoire d’une jeune femme anonyme dans ce qui pourrait être le futur. C’est une société qui ressemble beaucoup à la nôtre, mais où acheter des fleurs est un luxe, manger des fruits et légumes est un gage de richesse, où la nature est si rare que le personnage principal est prêt à tout pour passer un week-end à la campagne, où les rapports hommes-femmes sont très différents, et vu les conditions de vie de l’héroïne, la pauvreté atteint des chiffres alarmants et le SMIC est très bas – s’il existe.

Cette jeune personne nous raconte son histoire en livrant le récit des événements qui l’ont conduite à la situation présente – mais quelle est-elle ? Une chose est sûre : ça a commencé quand elle a accepté de travailler dans une chaîne de parfumerie. L’ambiance de ce roman est assez malsaine. Les rapports entre hommes et femmes sont
verticaux. Il est, par exemple, totalement admis qu’une chômeuse doive céder aux caprices sexuels de son futur employeur lors de son entretien d’embauche – pour « tester », voyez-vous ? Pour la clientèle. Car une parfumerie, dans ce monde-là, n’est pas une simple parfumerie. Les vendeuses sont tenues de faire des massages (plus ou moins
intimes) aux clients avec des produits de la maison, d’accepter des attouchements, et parfois de se prostituer. Rien n’est trop laid pour fidéliser. Cela ne concerne pas seulement le marché du travail. Dans les piscines, les hommes s’invitent couramment dans les vestiaires féminins pour regarder, draguer et s’octroyer quelques plaisirs sexuels, beaucoup de vieux messieurs attendent aux tourniquets des stations de métro pour se coller aux jeunes filles qui veulent frauder, les femmes sont reléguées aux métiers de la vente et souspayées, et les hommes les plus influents du pays font des orgies avec de jeunes filles pour fêter le nouvel an. Mais la protagoniste ne s’en plaint pas une seule fois. Elle a la chance d’avoir un compagnon qui ne lui en veut pas de travailler, d’avoir un logement (miteux) qu’elle arrive à payer (en sautant quelques repas et en n’achetant que le strict minimum), et d’avoir un emploi stable. Beaucoup de filles n’ont pas ce bonheur. Mais voilà : c’est à peu près à ce moment-là qu’elle a l’impression que son corps se transforme légèrement. C’est au tout début du récit qu’elle prend deux ou trois kilos qui mettent son corps en valeur : ses cuisses deviennent plus roses et pleines, son teint est resplendissant de santé, ses seins sont plus rebondis, et ses relations au sexe opposé deviennent de véritables succès (commerciaux). Ces transformations sont-elles réelles ou ne sont-elles qu’une vue de l’esprit ? Est-ce qu’elle rêve lorsqu’elle voit un troisième téton apparaître sur son abdomen ? Pourquoi ne peut-elle réfréner des pulsions animales qui la poussent à manger des fleurs et de la terre ?

On ne peut que faire un parallèle entre son animalité naissante et la bestialité à laquelle sont reléguées les femmes, véritables objets sexuels dans cette œuvre et prier pour que jamais on n’en arrive là. Truismes est un roman transgenre. Il emprunterait quelques éléments à la dystopie, possède sans doute quelques liens avec le fantastique et critique beaucoup la société actuelle. Un inclassable qui se fait un plaisir de nous perturber. Une lecture que je conseille à partir de 18 ans.

Cléménce de Ginestet

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