L’UNITE – Ninni Holmqvist – Edition Le Livre de Poche

« Ce fut rapide. La vie, je veux dire ».
Siri Hustvedt

Encore plus quand elle s’arrête à 50 ans, enfin quand la vraie vie s’arrête. Brutalement, du jour au lendemain. Devoir dire au revoir à son quotidien, à tout ce qui nous a fait, ce qui nous fait, ce qui est nous. C’est le sort de Dorrit, considérée, depuis son dernier anniversaire, comme superflue par la société dans laquelle elle vit. Comme chaque citoyen célibataire de plus de 50 ans pour les femmes ; 60 ans pour les hommes, et sans enfants, elle va rejoindre l’unité, un lieu dont personne ne revient jamais et que personne ne situe. Elle y vivra le restant de ses jours, enfermée dans une tour d’argent, dans une bulle d’air au milieu de nulle part. Tout est fait pour que les pensionnaires s’y sentent bien, et oublient leur condition de prisonniers, mais tout y est faux. Ce n’est qu’un semblant de liberté, un semblant de vie, des fragments en suspens.

Les pensionnaires forment en réalité une réserve vivante d’organes. C’est à eux qu’on prélève un foie, un cœur, quand les citoyens utiles en ont besoin. Ce sont des sacrifiés, des rats de laboratoire, qui ont perdu toute considération en
tant qu’être humain. Ils ne connaissent plus d’intimité, sont sans cesse surveillés. Seule leur reste la liberté de pratiquer comme bon leur semblent les activités qu’ils veulent, du moins quand ils en sont encore capables. L’endroit ressemble, il est vrai, à un palace, où tous les frais sont couverts, où tous les souhaits peuvent être réalisés. Ainsi on cherche à endormir les consciences, à les tenir enfermer véritablement, à réprimer toute envie de rébellion. Cependant Dorrit aura une chance que d’autres n’ont pas et va développer au sein de l’unité des relations comme jamais elle n’en a eu à l’extérieur.

L’auteur de l’Unité nous y enferme avec ses personnages. On y rentre en même temps que Dorrit pour ne plus en sortir. Ninni Holmqvist nous plonge dans cet univers confiné, nous met face aux atrocités commises par les scientifiques sur leurs semblables. Plus qu’à l’intérieur de l’unité, c’est à l’intérieur de Dorrit que l’auteur nous enferme. Elle nous fait ressentir avec puissance les sentiments de son personnage, ce qui lui permet d’écrire des passages bouleversants, qui vous prennent au cœur, comme si on allait vous l’arracher, vous le prendre à vous aussi, pour le mettre dans un petite boite blanche qui va rejoindre le monde extérieur.

Cette dystopie de Ninni Holmqvist développe une société qui condamne l’individualité. Le développement de chaque
individu n’est pas un but en soi, ce qui compte c’est la participation de chacun au développement de la société.

« Ecrire de la fiction dit Siri Hustvedt,
c’est comme se souvenir de ce qui n’a
jamais eu lieu, c’est comme se
souvenir de ce qui n’a pas encore eu
lieu, de ce qui aura peut être lieu un
jour », autrement dit c’est extrapoler à
partir des souvenirs du passé pour
imaginer un futur.

Plus qu’une simple fiction, l’unité est une véritable interrogation sur le fonctionnement de la société, et la place que chacun tient en son sein.

Dorrit à grandi dans une époque (la notre ou dans un futur relativement proche) à l’idéologie désormais révolue. Le début du roman semble vouloir nous mettre en garde contre les bruits qui grondent doucement, si doucement que l’on y prête pas attention, en particulier les jeunes, qui ne se sentent pas concernés par la politique, pourtant c’est à eux que s’offre le monde de demain, donc à eux d’en bâtir les règles politiques et morales.

Cette œuvre nous montre que nos modes de penser, que l’on croit modernes, et indétrônables, ne sont peut être pas si stables que ça, et remet en cause l’idéologie individualiste du capitalisme, non pas en la dévalorisant, mais en
montrant ses faiblesses. Ou plutôt, elle met en garde contre les extrêmes, la recherche d’une liberté absolue, d’une autonomie absolue vis à vis des autres, d’un féminisme poussé à bout.

Ninni Holmqvist est une auteur et traductrice suédoise. Elle est née en 1958 à Malmö. Elle a publié sa première nouvelle en 1995 : Kostym, suivie d’autres livres :Något av bestående karaktär (1999), Biroller (2002) Svarta diamanter: elva berättelser om liv och död (2004) , mais aucune de ses œuvres n’a été traduite en français. Elles sont cependant disponibles en anglais, et certaines en allemand. Puis en 2006 paraît l’unité, qui rencontre un véritable succès. Il a été traduit en plusieurs langues (norvégien, néerlandais, anglais, allemand, russe, et finalement en 2011 en français). Ninni Holmqvist reste cependant méconnue en France, ce qui est vraiment regrettable. Avoir lu l’unité titille la curiosité sur cette auteur, on a envie de la découvrir un peu plus, de la connaître un peu mieux. Ça donne peut être même presque le courage, de faire l’effort de se mettre à lire de l’anglais plus fréquemment.

Mais méfiez vous « Les gens qui lisent
tendent à être superflus. À l’extrême.»

ELISE HAROCHE

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

%d blogueurs aiment cette page :